Ce n’est pas la décision de la justice italienne que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) remet en cause, mais bien ses arguments. Pour acquitter les accusés dans une affaire d'agressions sexuelles, la cour d'appel de Florence a multiplié les préjugés sexistes et les commentaires déplacés sur la vie sexuelle de la plaignante, une étudiante des beaux arts. Pêle-mêle, il est question de sa bisexualité, de son "attitude ambivalente vis-à-vis du sexe", extrapolé de son rôle de prostituée dans un court métrage, ou bien encore de la lingerie rouge montrée le soir du viol en réunion qu’elle a dénoncé.
Des propos qui "véhiculent les préjugés sur le rôle de la femme"
Des propos culpabilisants, moralisateurs, qui "véhiculent les préjugés sur le rôle de la femme qui existent dans la société italienne", estime la cour européenne, et n’ont pas leur place dans une procédure pénale. Car les magistrats ont une responsabilité dans "la lutte contre la violence fondée sur le genre et les inégalités entre les sexes", rappelle la CEDH.
En clair, les autorités italiennes n’ont pas suffisamment protégé la plaignante. Elles n’ont donc pas respecté l’article 8 de la Convention sur le droit au respect de la vie privée. Plus grave, les juges florentins ont exposé la plaignante à une deuxième expérience de victime.
Cette décision ouvre dès maintenant des perspectives de recours pour des femmes qui auraient été, elles aussi, maltraitées devant des juridictions nationales et donc françaises. "Pour la première fois", se félicite Delphine Tharaud, maitresse de conférence à l’université de Limoges spécialiste du droit de la discrimination, "la notion de 'victimisation secondaire' est clairement énoncée".
"Un outil dont on pourra se servir devant les juridictions françaises"
"C’est un outil dont on pourra se servir devant les juridictions françaises, que ce soit pour une victime de harcèlement ou de violences sexuelles." Pour l’autrice du Dictionnaire juridique de l’égalité et de la non-discrimination, "cet arrêt c’est aussi un gros panneau 'Attention' adressé à tous les juges des États membres de la CEDH. Il faut éviter d’être trop intrusif et dans le jugement par rapport à la vie privée de la victime".
La CEDH avait déjà condamné le Portugal en 2017 sur la base de l’article 8 de la Convention qui instaure le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’au nom de l’égalité des sexes. La Cour administrative suprême du Portugal avait refusé des réparations financières à une patiente après une opération gynécologique qui la privait de toute relation sexuelle. Cette décision était fondée sur le postulat général que la sexualité n’a pas autant d’importance pour une quinquagénaire mère de deux enfants que pour une femme plus jeune ou un homme du même âge.