Le foot peut-il être un moyen de faire de la politique ? Oui, selon Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po et spécialiste de la géopolitique du foot, invité de C'est arrivé demain sur Europe 1. Premier exemple en date, le match d'ouverture de la Coupe du monde, jeudi, entre la Russie et l'Arabie Saoudite.
"Un très bon prétexte". Un heureux hasard pour les deux pays. "Quoique s’agissant d’une part de la Fifa, d’autre part de la Russie, on n’est jamais certain que le tirage au sort est du au hasard", ironise le chercheur. Car ce match d'ouverture ne se jouait pas uniquement sur le terrain. "Pour Vladimir Poutine, c'était un très bon prétexte pour accueillir dans une visite protocolaire de très haut niveau le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane", analyse Sylvain Kahn. "Or, on remarque ces derniers temps qu’il y a une sorte de convergence objective entre ces deux Etats", poursuit-il.
Premier motif de rapprochement : "Ce sont les deux premiers producteurs de pétrole au monde", rappelle le chercheur. "Tous les deux, pour des raisons différentes, sont confrontés à une crise économique et chacun essaie de faire des réformes".
Une image écornée. D'un point de vue purement géopolitique, la Russie a aussi besoin de se réinsérer dans le jeu du Moyen-Orient. "Elle a notamment des difficultés avec son allié iranien", reprend Sylvain Kahn. "La Russie a objectivement intérêt à se rapprocher de l’Arabie Saoudite avec laquelle elle est assez fâchée depuis plusieurs années".
Au-delà d'un éventuel rapprochement avec l'Arabie Saoudite, le mondial devrait être l'occasion pour la Russie de redorer son image : "Vladimir Poutine peut en retirer un crédit en terme d'image", assure le chercheur. Une image qui a été largement écornée par des événements récents.
L'exemple de Sotchi. "La Russie, actuellement, c’est l'affaire Skripal, ce pays qui va tuer des anciens espions dans les pays européens soi-disant partenaires", continue Sylvain Kahn. "C’est aussi ce pays qui annexé un petit morceau d’un voisin, la Crimée. Ce sont des choses qui, normalement, ne se font plus". "Enfin, la Russie c’est ce pays qui déstabilise profondément l’Ukraine, la Syrie, la Géorgie, en y fomentant des guerres".
La Coupe du monde permettra-t-elle de nuancer ce tableau ? Pas sûr, si l'on se réfère à un exemple récent : les JO de Sotchi. "En 2014, ils n'avaient pas permis de changer complètement l'image de la Russie", estime Sylvain Kahn.
Jusqu'où ira la Russie ? Quant à savoir si Vladimir Poutine profitera de l'occasion pour inviter d'autres dirigeants, lorsque son équipe en rencontrera une autre, Sylvain Kahn reste pragmatique : "Pour ça, il faudrait encore que la Russie passe la phase de poules et ce n'est pas du tout sûr qu’elle arrive en huitième de finale". Avant d'être politique, le sport reste... du sport !