A une vingtaine de kilomètres de la frontière hongroise, le village de Pusca semble un peu perdu au milieu des champs. Et pour cause : c'est ici, à l'écart du reste de la population, que pour la première fois, il y a un peu plus de 100 ans, une famille rom a eu le droit d'acheter un terrain. Aujourd'hui, ils sont près de 800 ici et leurs 150 maisons forment un quartier à part entière de la grande ville, Murska Sobota. Un quartier qu’ils gèrent eux-mêmes.
"C’est une nouvelle génération qui est formée ici". Depuis longtemps déjà, il y a ici l'eau courante, l'électricité et surtout une école maternelle, la fierté de Darko Rudas, le représentant de Pusca au conseil municipal : "cette école, c’est vraiment le noyau du développement du quartier. C’est une rampe de lancement pour les roms : ils viennent d’un lieu plutôt marginal et pauvre et ils sont propulsés au cœur de la société. Depuis cinquante ans, c’est une nouvelle génération qui est formée ici. Une génération qui réfléchit différemment, qui a d’autres attentes. C’est une école préparatoire pour une nouvelle vie."
Cette après-midi-là, ils sont une dizaine d'enfants à danser et à chanter dans l'école. Il y a des roms, bien sûr, mais aussi des enfants venus d'autres villages, de plus en plus nombreux dans la classe de Katarina. "Cela fait six ans que je travaille ici, et je vois comment l’amitié se développe entre les enfants d’ici et les autres. Ils se rendent visite, ils fêtent leurs anniversaires ensemble. Même ensuite, ils restent amis. On voit qu’ils ne posent aucune frontière entre eux. Quand ils jouent ensemble, ils échangent spontanément des mots dans les deux langues. C’est une chance pour eux et même pour leurs parents, qui les déposent ici et qui participent à cet échange de cultures", explique-t-elle.
"Les roms sont les premiers à être mis au chômage". Le mélange des cultures, c'est une volonté qui s'affiche partout, à Pusca. Il y a quinze ans, quand les habitants ont pour la première fois donné des noms à leurs rues, ils ont choisi des noms slovènes. Mais les symboles ne peuvent pas tout. L'intégration passe avant tout par l'emploi et Darko Rudas a un projet pour les roms en difficulté : "Avec la crise, des entreprises ferment, et les roms sont les premiers à être mis au chômage. Ils n’ont plus les moyens de vivre en ville. Nous voulons construire des HLM ici pour leur permettre de se loger. Ils pourraient payer leur loyer en travaillant, en nettoyant les immeubles et les espaces publics. On voudrait aussi créer des emplois verts, dans l'agriculture. Mais on ne veut pas rester entre nous. Les familles slovènes pourraient aussi profiter de ces nouveaux logements."
En fait, à Pusca, la population a déjà commencé à changer. Il existe même une rue surnommée "la rue blanche", parce qu'on y trouve des familles mixtes. Parmi elles, celle de Michko, le violoniste, né d'un père rom et d'une mère slovène. Avec son fils, qui l'accompagne à l'accordéon, il entretient l'héritage musical de sa communauté. Il joue notamment tous les ans pour l'anniversaire du village, au mois de septembre, quand les habitants des environs viennent danser ici. L'époque où les roms devaient vivre à l'écart lui semble révolue.
"Je reste un rom : je bouge beaucoup, j'aime l'amour et la musique". "Aujourd’hui, il y en a énormément, des couples mixtes. Il n’y a pas de friction, pas de nervosité, pas d’interdit. C’est fini, tout ça. La mère de mon fils est Slovène, ma nouvelle femme est Slovène. Mes beaux-parents m’ont accueilli à bras ouverts. Mon fils lui-même a une compagne slovène. Donc, non, vraiment, ce n’est plus un sujet. Mais je reste un rom : je bouge beaucoup, j'aime l'amour et la musique", raconte-t-il.
Aujourd’hui, Michko se produit un peu partout dans la région. Car les roms veulent aussi diffuser leur culture. Pour le prouver, le chef de la communauté, Horvat Muc, nous emmène dans le centre-ville de Murska Sobota et montre le petit musée qu’il a créé, près de la place du marché : ici, dans une pièce unique dont les murs sont tapissés de textes et de photos, on trouve des outils, des costumes, des poteries, des paniers, toutes sortes de témoignage de l’activité des roms.
"Nous avons proposé de faire apprendre notre langue dans les écoles". "C'est une idée de l'Union européenne des roms. Ensemble, nous avons décidé d’ouvrir des musées pour mettre en valeur notre culture matérielle. Il y en a un ici, mais il y en a aussi en Slovaquie, en Lettonie, en Serbie. L’idée, c’est qu’il y ait un réseau de musées à travers toute l’Europe", assure Michko.
Et l’ambition des roms ne s’arrête pas là : ils aimeraient que leur langue, le romani, trouve également sa place dans les programmes scolaires. "Nous avons proposé de faire apprendre notre langue dans les écoles, comme une langue facultative. Ça n’a pas encore été accepté, mais on a déjà préparé le matériel, regardez : ça, c’est le manuel du romani standardisé. Tout est prêt", poursuit Michko.
Une bibliothèque "qui donne une visibilité à cette culture". Un jour, peut-être, ce manuel se retrouvera à quelques centaines de mètres de là, dans la bibliothèque universitaire (photo ci-dessus). Car ici, parmi les rayonnages, on en consacrés aux roms. Il y a des ouvrages de politique, de sociologie, d’histoire, d’ethnologies, rassemblés par Jasna, la directrice : "C’est la seule bibliothèque publique de Slovénie qui présente de façon organisée les ouvrages consacrés aux Roms. Il y en avait 500 au départ, aujourd’hui il y en a à peu près 600. C’est très utilisé par les lycéens et par les étudiants pour faire des recherches. Et ça donne une visibilité à cette culture."
Et parmi les étudiants qui utilisent ces livres, il y a parfois des roms. D'ailleurs, l'un d'eux, venu de Pusca, a déjà réalisé un travail de fin d’études sur l’évolution de sa communauté dans la région. Dans son village, on évoque en souriant le titre de ce mémoire: "Comment la majorité s’intègre dans la minorité."