Au lendemain de l'incident entre la Turquie et la Russie - un avion russe a été abattu par les Turcs à la frontière syrienne - la constitution d'une grande coalition internationale pour combattre l'organisation Etat islamique semble fragilisée. Bruno Tertrais maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique mesure les conséquences de cet incident sur les relations entre les alliés.
- En quoi le fait que la Turquie abatte mardi un avion russe au dessus de son territoire est particulièrement grave ?
"C'est grave parce que c'est la première fois qu'un avion russe a été abattu au dessus du territoire de l'OTAN, et donc de l'Alliance Atlantique depuis 1953. Pourtant, la Turquie est l’un de nos alliés et c’est donc pour cela qu’elle a demandé en urgence une réunion de l’OTAN. On peut donc le dire, c’est un incident exceptionnellement grave".
- Est-ce que la Turquie sabote sciemment la coalition contre Daech ?
"La Turquie est effectivement un drôle d’allié. D’abord, parce que pendant longtemps elle n’a pas voulu se concentrer dans la lutte contre Daech tout simplement parce qu’elle déteste tellement Bachar al-Assad qu’elle n’a pas voulu freiner la progression de Daech. Et la deuxième raison c’est qu’elle continue à jouer un jeu trouble. Elle continue à se battre contre les Kurdes plutôt que contre Daech et Bachar al-Assad. Et en plus, la Turquie pendant ce temps là, continue à faire passer sur son territoire du pétrole vendu par Daech, ce qui est une grosse source de revenu pour eux. Poutine a d’ailleurs dit hier qu’il était grand temps que la Turquie ferme ses frontières".
" On a finalement deux machos : Poutine et Erdogan qui veulent montrer leurs muscles "
- L’avion russe abattu hier par les turques était-il quelque chose de prévisible et qu’est ce que cela révèle ?
"L’incident d’hier aurait pu arriver à n’importe quel moment depuis deux ans car l’armée russe a un comportement très provocateur et elle se moque des frontières. Cela révèle toutes les ambigüités de cette coalition politique. Car finalement même si la Turquie et la Russie sont dans la même coalition politique, elles frappent finalement assez peu Daech. On a finalement deux machos : Poutine et Erdogan qui veulent montrer leurs muscles. Il y aura des conséquences sur la manière dont la frontière entre la Turquie et la Syrie est gérée et je crois qu’on va essayer de mettre en place des procédures de coordination avec les forces russes. C’est d’ailleurs ce que souhaite la France, qu’il y ait une coordination entre les forces russes et les pays occidentaux. D’un mal sortira finalement peut-être un bien et une meilleure coordination militaire".
- Faut-il arrêter de croire que François Hollande arrivera à créer une coalition internationale ?
"Non, il a raison d’essayer de réunir les pays les uns après les autres mais cet incident montre encore une fois que, derrière un consensus de façade contre Daech, beaucoup de pays jouent des partitions différentes. La France, les Etats-Unis et quelques pays européens sont véritablement dans le même bateau. Alors que la Russie a un agenda qui coïncide que partiellement avec le nôtre tout comme la Turquie".
- La façon dont on combat Daech a-t-elle changé depuis les attentats de Paris du 13 novembre dernier ?
"Oui cela a changé. Première chose, les Russes qui ne faisaient que 5% de bombardements contre Daech sont maintenant à 15-20%, c’est déjà un progrès, même s’ils le font n’importe comment. Deuxième chose, l’accélération des frappes françaises. Et là je crois que Barack Obama est bien décidé à faire quelque chose, nous aider, et d’ailleurs, il nous aide déjà en matière de renseignements. Il va aussi probablement ordonner l’accélération du tempo des opérations américaines en Syrie".
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Tertrais : "La Turquie continue à jouer un jeu...par Europe1fr