C'était l'occasion pour l'Azerbaïdjan de devenir le centre du monde (sportif) pour quelques jours. Vendredi, les tout premiers Jeux européens s'ouvrent dans la capitale azérie, qui rêvait d'en faire une vitrine pour afficher ses ambitions olympiques et se rapprocher de l'Europe. Plus de 6.000 athlètes venus du continent européen font le déplacement jusqu'à Bakou pour concourir dans 20 disciplines. Manque de chance, le début de la compétition est assombri par de nombreux scandales.
- La sécurité des délégations en question
Jeudi, la veille de l'inauguration, une nageuse de l'équipe autrichienne de natation synchronisée a été grièvement blessée, renversée par un bus assurant des navettes dans le village des athlètes. Vanessa Sahinovic, 15 ans, "souffre d'un polytraumatisme avec fractures multiples", deux autres nageuses étant plus légèrement blessées. On ignore pour l'heure les raisons du violent accident, qui va ternir la cérémonie d'ouverture de vendredi soir.
Quelques semaines auparavant, un violent incendie a fait au moins 16 morts à Bakou. Le feu a atteint les décorations en plastique qui ornaient un immeuble d'habitation de la capitale, tuant certains de ses habitants, dont une fillette de deux ans. Une controverse s'est immédiatement ouverte sur l'utilisation de matériaux peu chers et inflammables pour décorer la capitale lors de l'événement, entraînant la démission de Rasim Adjalov, le superviseur de l'organisation des Jeux européens. Mes valeurs sont plus importantes que mon gros salaire… C'en est trop", a-t-il écrit sur Facebook, selon le média azéri dissident Meydan.
- Un coût faramineux
Pourtant, Bakou n'avait pas lésiné sur les moyens pour préparer l'événement sportif. L'autoritaire président Ilham Aliev a ouvert les bourses du pays pour construire les infrastructures nécessaires aux Jeux européens. Il a fallu 30 mois et près d'un milliard d'euros de budget officiel pour construire 18 sites, dont une arène de 66.000 places. Mais selon la BBC, le coût total des travaux pourrait bien être supérieur, puisque le coût de 600 millions de dollars est avancé rien que pour le stade olympique. Devant la facture trop salée (pourtant dix fois moins élevée que celle de l'Azerbaïdjan), les Pays-Bas ont annoncé renoncer à organiser ceux de 2019.
A titre de comparaison, le PIB du pays s'élève à environ 65 milliards d'euros. Ilham Aliev a donc accepté de dépenser près de 2% des revenus de l'Azerbaïdjan pour les Jeux européens, et cela fait grincer des dents. Sans compter l'argent investi en amont, selon un dissident azéri. D'après Emin Milli, un journaliste opposant réfugié en Allemagne, "diverses estimations indiquent qu'Ilham Aliev a payé entre 3 et 9 milliards de dollars (entre 2,7 et 8 milliards d'euros) pour que l'Azerbaïdjan soit pays hôte", a-t-il déclaré dans une interview à la radio allemande Deutsche Welle.
Et pourtant, l'Azerbaïdjan a besoin "urgemment d'investissements dans la santé et l'éducation", estime le dissident. "Alors que la majorité des Azéris ont des difficultés à boucler leurs fins de mois, toutes ces dépenses extravagantes irritent sincèrement les gens", estime pour la BBC Arastun Orujly, directeur du centre de recherches Occident-Orient installé à Bakou.
- Des droits de l'homme bafoués
Mais c'est surtout la situation déplorable des droits de l'homme en Azerbaïdjan qui va ternir les premiers Jeux européens. Les autorités azéries essuient un torrent de critiques venues des ONG. "Derrière l'image d'une nation moderne et ouverte, l'Azerbaïdjan est un État où la critique des autorités est chaque jour frappée par la répression", écrit ainsi Amnesty International dans un rapport intitulé Azerbaïdjan : les Jeux de la répression, qui a valu aux représentants de l'ONG d'être déclarés personae non gratae dans la petite république du Caucase jusqu'à la fin des Jeux.
De son côté, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a elle révélé avoir reçu, vendredi, une lettre du ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères lui donnant "un mois à partir du 4 juin" pour fermer son bureau de Bakou, estimant n'avoir plus besoin des services de l'organisation. Hasard du calendrier ou non, une représentante de l'OSCE a signé il y a quelques jours une tribune, dénonçant "la brutalité des méthodes d'intimidation, de harcèlement et d'obstruction utilisées par les autorités azerbaïdjanaises".
Les autorités azéries voient dans les critiques répétitives, également venues de parlementaires européens, un acharnement injustifié de "forces hostiles", comme l'a indiqué Ali Husseynli, président de la Commission parlementaire sur la politique juridique et le renforcement de l'Etat, selon l'agence de presse APA.
- Des hauts responsables absents
Si, à l'instar du Qatar, l'Azerbaïdjan voulait en profiter pour soigner ses relations diplomatiques, plusieurs représentants européens de haut rang ont choisi de ne pas faire le déplacement. Certes, les présidents russe et turc Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan profiteront des Jeux européens pour se rencontrer – Bakou espère d'alileurs en profiter pour discuter hydrocarbures mais aussi conflit du Haut-Karabakh, qui oppose l'Azerbaïdjan à son voisin arménien.
Mais côté allemand, ni la chancelière Angela Merkel, ni son ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière ne se rendront à Bakou. David Cameron, chef du gouvernement britannique, s'abstiendra également du déplacement. François Hollande, lui, a décidé d'envoyer le secrétaire d'Etat aux sports Thierry Braillard pour assister à la compétition. Le président français a rencontré son homologue azéri il y a moins d'un mois lors d'un voyage d'Etat dans le Caucase, se gardant d'évoquer trop ouvertement les atteintes aux droits de l'homme.