Invitée de la Social Room pendant la campagne américaine, la journaliste Laure Mandeville avait répondu à vos questions sur Donald Trump. Nous vous proposons de la revoir, à la lumière de son élection.
Jeudi 9 novembre, Donald Trump est devenu le 45e président des Etats-Unis. Un succès inattendu, en forme d’onde de choc planétaire. Qui est vraiment Donald Trump ? C’est le titre du livre de Laure Mandeville, paru aux éditions des Equateurs. Le 18 octobre dernier, celle qui fut pendant huit ans la correspondante aux Etats-Unis du Figaro, était l’invitée de la Social Room d’Europe 1. Nous vous proposons de revoir cette interview durant laquelle elle avait répondu à vos questions.
Voici ce qu'elle nous racontait alors sur le personnage Trump :
- Sur sa personnalité : Trump est-il outrancier, improbable, fou ?
“Outrancier, c’est une évidence, il est dans l’outrance, ça fait partie de sa personnalité en privé et en public. Tout chez lui est immense, grand, formidable. Improbable ? Je ne sais pas. Il est improbable dans un cadre français mais c’est un personnage très américain ! Il est exceptionnel par son parcours et son charisme, mais c’est aussi l’incarnation du rêve américain. Il devient ultra-riche en une vie, il expose sa richesse, n’a pas peur de la montrer. Ca fait partie de son succès : les américains peuvent se projeter dans la richesse et le succès.”
- Sa place sur l’échiquier politique en France
“C’est une question difficile. Déjà sur l’échiquier politique américain, il est inclassable ! Il a été démocrate pendant des décennies, avant de devenir républicain. Il avait même voulu se présenter à la présidentielle de 1988 ! Il est passé à droite sur la question de l’immigration.”
“Il y a évidemment des parallèles entre les thèmes de Donald Trump et ce qui se passe chez Marine Le Pen. Sur le thème de l’immigration et du protectionnisme, il y a un parallèle évident. Il correspond à la rébellion populaire très profonde d’une population occidentale qui se révolte contre les élites et le système, qui lui avait promis une globalisation heureuse et qui s’en sent exclu en perdant ses emplois.”
- Sa candidature était-elle une blague au départ ?
“Je ne pense pas. Il y a chez lui une volonté de défi, il a une ambition gigantesque. Au fait de la puissance économique, avec son nom sur des immeubles dans le monde entier, quel autre défi pouvait-il relever ? Il y pense depuis longtemps ! Le gendre de Nixon, que Trump avait rencontré, lui a dit qu’il gagnerait la présidentielle s’il se présentait un jour. Il a gardé ce message avec lui.”
- Donald Trump n’a aucune expérience
“C’est un des grands reproches qui lui est fait. Effectivement sur certains sujets comme la politique étrangère il ne connaît rien du détail des grands conflits, il ne connaît rien à la Russie. Je ne suis pas certaine qu’il ait beaucoup de culture. Les gens qui le fréquentent disent qu’il ne lit pas, il s’informe à partir des journaux télé. C’est un homme qui a des instincts assez forts. Ceux qui le défendent diront qu’un président n’a pas besoin d’une expérience encyclopédique. Barack Obama, prof de droit constitutionnel, passé par Harvard, n’a pas été un président si extraordinaire que ça. On l’a vu remarquablement intelligent, élégant, mais il a parfois donné le sentiment de voir tellement les complexités d’un problème qu’il n’était pas capable de trancher.”
- Ses chances face au rejet d’Hillary Clinton
“C’est d’abord le candidat du rejet du système, et Hillary Clinton incarne ce système jusqu’au bout des ongles. La famille Clinton est une famille ultra puissante à qui personne n’avait osé s’attaquer. Trump ose dire des choses que personne n’a osé dire. Hillary Clinton, sur le plan personnel, n’a jamais réussi à connecter avec les Américains. Elle apparaît comme quelqu’un de trop cérébral, qui a des plans en dix points sur n’importe quel sujet, sans réussir à faire rêver les Américains et leur dire exactement où elle veut les emmener. Elle leur dit : “J’ai toute l’expérience, je mérite d’être présidente”. Mais elle n’explique pas où elle veut aller, c’est le chaînon manquant de sa campagne.”
- Que pense Donald Trump de la France ?
“Il a eu dans le passé des avis assez critiques sur la France. J’ai lu des déclarations où, en 2000, il disait que les Français étaient de mauvais partenaires commerciaux. Il a le sentiment que les Européens ont vécu à la charge des Américains pour leur sécurité pendant des décennies. Lui est un homme d’affaires qui compte, qui fait les pertes et le bilan : il se demande pourquoi les Américains paient autant pour la sécurité des Européens. Il a aussi plusieurs fois mentionné la France dans le cadre des attentats terroristes, en disant qu’on ne reconnaissait plus la France. Mais il a aussi exprimé sa solidarité et critiqué le fait qu’Obama ne soit pas venu à Paris le 11 janvier. C’est un peu mitigé, ce bilan.”
- Donald Trump et l’establishment
“Ils n’ont pas cru à sa candidature pendant des mois et des mois ! Il les a pris de court sur tous les sujets. Il a enterré toutes les vaches sacrées des Républicains, comme le libre-échange, avec une approche pragmatique et pas idéologique. Il est aussi très modéré sur la dette, alors que c’est une vache sacrée des élites républicaines. Il a dit qu’il fallait protéger les pauvres, qu’il ne fallait pas mettre en question les retraites des américains. Il y a aussi la vache sacrée des néo-conservateurs qui se sentent menacés par ce candidat qui dit que partir en guerre toutes les cinq minutes n’a pas de sens. Trump se révèle, sur la politique étrangère, plus proche d’Obama.”
- Sur la politique extérieure
“Il faut être extrêmement prudent sur ce que sera sa politique extérieure : il n’a pas de plan stratégique. C’est un homme d’instinct : instinct au repli, instinct à la négociation dans les alliances. Ca fait peur sur certains plans, et il y a de vraies inquiétudes à avoir : est-ce que, pour avoir des succès par exemple en Syrie, serait-il prêt à avoir un deal effrayant avec Poutine, une sorte de Yalta II ? Un homme qui se vante de faire les meilleurs deals du monde serait-il cynique ou seulement pragmatique ? C’est la question que se posent tous les alliés de l’Amérique.”