L’opposition au président Pierre Nkurunziza continue de s’étendre au Burundi. Jeudi , un adolescent de 15 ans a été tué par un policier dans la commune de Gisozy, à environ 80 kilomètres au sud-est de la capitale, Bujumbura. Depuis le 26 avril, le petit Etat africain, situé dans la région des Grands Lacs, est secoué par de violentes manifestations contre un troisième mandat du président sortant. Au total, 18 personnes sont mortes dans des affrontements entre opposants, partisans du président et la police. Le Burundi, déjà durement éprouvé par une longue et violente guerre civile entre 1993 et 2006 (300.000 morts), est-il au bord du chaos ?
>> Un troisième mandat présidentiel controversé
Les troubles dans ce pays peuplé d’environ 10 millions d’habitants remontent au 25 avril dernier. Ce jour-là, le président Pierre Nkurunziza est désigné par son parti pour être candidat à un troisième mandat présidentiel. Mais sa déclaration de candidature pour la présidentielle du 26 juin a mis le feu aux poudres. En cause : un troisième mandat que les opposants à Pierre Nkurunziza jugent inconstitutionnel.
Le chef de l’Etat a été élu une première fois par le Parlement en 2005, juste avant la fin de la guerre civile qui a secoué le pays entre 1993 et 2006, puis une deuxième fois au suffrage universel direct en 2010. L'article 96 de la Constitution prévoit toutefois que le chef de l'État "est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois". Un autre article, 302, stipule cependant que le premier président "post-transition" (Pierre Nkurunziza en 2005) est "exceptionnellement" élu par l'Assemblée nationale. Mais les deux camps s'opposent sur l'interprétation des deux dispositions.
Pour les pro-Nkurunziza, le premier mandat du chef de l'Etat ne doit pas être comptabilisé puisque l'élection n'avait pas eu lieu au suffrage universel direct. Pour ses opposants, l'article 302 nuance l'article 96 et fait entrer le premier mandat du président dans la limitation à deux mandats. Saisie par le Sénat, la Cour constitutionnelle du Burundi a cependant donné raison au président sortant le 5 mai dernier, validant la candidature controversée du chef de l’Etat. Le vice-président de la Cour a pourtant refusé de signer l'arrêt et a fui le pays, dénonçant "d’énormes pressions" pour que la Cour donne raison à Pierre Nkurunziza.
>> Un conflit politique qui dégénère
Les heurts entre les partisans et les opposants au président sortant ont commencé le 26 avril. Ce jour-là, soit le lendemain de l’annonce de la candidature du président sortant, de violents affrontements avaient éclaté dans la capitale burundaise entre des groupes de manifestants et des policiers. Un conflit politique, et non pas ethnique, qui a provoqué en un peu moins de deux semaines la mort de 18 personnes, essentiellement dans la capitale Bujumbura. Jeudi, une première personne est décédée en province, un adolescent de 15 ans tué par un policier à Gisozi, à 80 kilomètres au sud-est de Bujumbura.
L’essentiel de la contestation se concentre donc dans la capitale, mais le risque de contagion au reste du pays n’est pas à exclure. "Nous ne savons pas encore si la contestation va s’étendre. La mobilisation est importante mais elle n’est pas encore fatale pour le pouvoir", analyse Filip Reyntjens, professeur de droit et spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs, interrogé par Le Monde en date du 6 avril. "La situation pourrait devenir rapidement insurrectionnelle et justifier une intervention de l’armée. C’est un scénario qu’il ne faut pas exclure", prévient Filip Reyntjens.
>> Des milliers de réfugiés dans les pays voisins
Des milliers de Burundais ont choisi de s’exiler ces dernières semaines, la faute à la situation extrêmement tendue dans le pays. Selon l’ONU, près de 35.000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins : République Démocratique du Congo, Tanzanie et surtout au Rwanda. Au Rwanda, les réfugiés disent fuir des campagnes d’intimidation perpétrées par "les Imbonerakure", les jeunes du parti au pouvoir accusés d’intimider les opposants à Pierre Nkurunziza. Agathon Rwasa, le principal opposant politique au président burundais, a déploré que les "Imbonerakure" soient "armés et équipes comme des policiers". L’ONU les a même qualifiés de "milices".
Dans cette situation explosive, la tenue des élections du 26 juin prochain n’est pas encore assurée. "L’environnement n’est pas propice à une élection. On ne peut pas aller dans un pays, rencontrer des réfugiés qui fuient et dire ‘nous allons observer les élections’", a déclaré jeudi Nkosazana Dlamini-Zuna, la présidente de la Commission de l’Union africaine. "A part la Cour constitutionnelle burundaise, toutes les autres interprétations que nous avons de la Constitution est que (…) il ne devrait pas y avoir de troisième mandat", a-t-elle ajouté. Une vision loin d’être partagée par le président burundais. Mercredi soir, après plus de dix jours de contestation, Pierre Nkurunziza a réaffirmé son intention de se présenter aux élections présidentielles du 26 juin.