Mort et résurrection d’un journaliste. Ce miracle s’est passé mercredi en Ukraine où est réapparu Arkadi Babtchenko, soi-disant tué la veille de trois balles dans le dos. Cette affaire rocambolesque rappelle l’attentat de l’Observatoire. En 1959, le député François Mitterrand fait croire que l’OAS a tenté de le tuer. De quoi susciter une grande émotion dans un pays en pleine guerre d’Algérie. On le plaint, mais pas longtemps, puisque l'on apprend que l’attentat est bidon car le tueur se livre. C’est un provocateur : il a pris la peine, avant de tirer sur la voiture vide, d’envoyer des lettres qui prouvent que le coup de pub a été mis en scène avec la victime. Le scandale faillit tuer François Mitterrand. Politiquement bien sûr, mais pas seulement. Il pensa se jeter à la Seine. On sait comment, plus tard, il a pris sa revanche.
Un coup de théâtre sans précédent. Mardi, à Kiev, les services secrets ont fait semblant d’assassiner un journaliste pour lui éviter de se faire assassiner. Le journaliste s’est prêté à cette mystification, le tueur était de mèche, et le commanditaire a ainsi pu être arrêté. Il aurait été en contact avec les services russes. Les services ukrainiens, de leur côté, jubilent. Leur coup de théâtre a fait le tour du monde. Il a ancré l’idée que le Kremlin est prêt à tout pour faire taire un journaliste en exil.
Veuve pendant quelques heures. Dans l’affaire de l’Observatoire, un détail a trahi François Mitterrand. Il prétendait avoir sauté par-dessus les grilles pour échapper aux balles. Or c’était impossible, sauf à s’appeler Superman. Dans l’affaire ukrainienne, le journaliste demande pardon publiquement à sa veuve des deux jours de chagrin qu’il vient de lui faire endurer, mais on apprend ensuite que toute la famille était au courant. Le chef des Services secrets, ravi de son coup, ajoute que l’affaire était montée depuis des mois. On ne voit plus trop l’urgence de la mise en scène pour l’enquête judiciaire. Enfin, les trois balles dans le dos, comme les traîtres qu’on fusille, sont la preuve fabriquée pour accabler Moscou, le détail qui tue.
Une guerre de propagande entre Kiev et Moscou. Quatre ans après la révolution de Maïdan, la situation en Ukraine reste obscure. Le pays décourage ceux qui s’en occupent. La guerre a fait 10.000 morts, un million et demi de déplacés, l’économie est en ruines, la corruption générale. Les accords de Minsk sont mort-nés, aucune solution politique n’est en vue. Contrairement aux apparences, Kiev n’a pas envie de récupérer les régions séparatistes, ni les Russes d’annexer le Dombass. Kiev veut une petite Ukraine, débarrassée des Russophones, et Moscou veut garder un moyen de pression sur son voisin ukrainien. Bref, tout le monde ment. Du coup, le front le plus actif reste la guerre de propagande que se livrent les deux camps, prêts à tout pour discréditer l’autre.
L’an dernier, 39 journalistes ont été assassinés dans le monde. Ce sont des martyrs. C’est-à-dire des témoins, selon la traduction littérale. Arkadi Babtchenko, lui, est un faux témoin. On attend maintenant qu’il redevienne un grand reporter, en écrivant l’enquête que mérite cette affaire.