Après cinq jours de lutte contre les flammes, les principaux feux sont maîtrises au Portugal, même si 2.000 hommes et les 11 avions envoyés par l'Espagne, la France et l'Italie restent mobilisés pour éviter les reprises de feu. Le pays se réveille après ce cauchemar : 64 morts dont 47 piégés dans leurs voitures sur la route, enfermés dans le brasier, et 254 blessés. Les Portugais se demandent comment une telle tragédie a pu se produire.
A quelques encablure de la N236, la désormais tristement célèbre route de la mort, le bar de Lourdes fait office de refuge pour les habitants de Moita, l’un des nombreux villages martyr frappé par les incendies. Les visages hagards et marqués par la fatigue, les voisins cherchent à comprendre ce qui a pu se passer. Au comptoir, le ton monte assez vite : 47 des 64 victimes de l’incendie sont mortes dans leurs voitures sur cette nationale.
"Ils n'ont pas coupé la route parce qu'il n'y a pas eu de communication entre les services". Lourdes essaye de garder son calme. Elle relit avec attention les petites affichettes qu’elle vient d’imprimer : ce sont des faire-part de décès avec la photo de quatre personnes, deux hommes et deux femmes originaire du village : "voilà, ce sont les quatre victimes du village. Elles étaient toutes jeunes… Tu vois eux deux, ils étaient mari et femme, là c’est son frère et puis une amie. Ils sont tous mort en fuyant sur la route. On les enterre cet après-midi. Beaucoup de ceux qui sont restés dans leur maison ne sont pas morts. Tu sais, tout est allé très vite. Ils n'ont pas coupé la route parce qu'il n'y a pas eu de communication entre les services. Ils se sont mal coordonnés."
Lourdes dans son bar, près de la N236
Si la route avait été coupée à temps, le bilan de ce dramatique incendie n’aurait sans doute pas été le même. La plupart des victimes ont été prises au piège dans leur véhicule sur cette route qui traverse une forêt de pins et d’eucalyptus. Le feu s’est propagé à une vitesse inouïe à cause des vents violents et de la canicule qui sévit depuis 15 jours.
L’incendie a laissé un paysage lunaire, en noir et blanc : des troncs d’arbres calcinés, de la cendre partout, des carcasses de voitures carbonisés tout au long de la route et plusieurs maisons détruites. On a vécu toute la semaine au rythme des camions de pompiers et des ambulances lancées sur les routes toutes sirènes hurlantes.
"C’est difficile de penser au futur avec ce qu’ils ont vécu". Sur les axes secondaires, on doit souvent faire demi-tour car des arbres brûlent sur les bas cotés. A l’entrée du village de Nodeirinho, une Citroën C4 et une Peugeot 106 calcinées sont encore en travers de la route (voir photo ci-dessous). Ici aussi, le feu a fait de nombreuses victimes. Dans la cour d’une maison, des femmes pleurent et se tiennent dans les bras. L’évêque de Coimbra, Virgilio Antunes est venu leur apporter du réconfort : "c’est un tout petit village et les habitants ont perdu 11 ou 12 personnes… C’est une tragédie. J’ai trouvé des enfants qui ont perdu leurs parents. C’est difficile de penser au futur avec ce qu’ils ont vécu". Dans ce village, une quinzaine de personnes ont réussi à se sauver des flammes en restant deux heures dans le lavoir d’un agriculteur, avec de l’eau jusqu’au cou…
"Moi, à la place du ministre, j’aurai posé ma démission". Le neveu de Luisa n’a pas eu cette chance, il est mort en tentant d’aider son voisin. La dame d’une soixantaine d’années est très en colère contre les autorités : "c’est incroyable, les pompiers étaient ailleurs, ils ont laissé notre petit village tout seul. On a demandé de l’aide aux pompiers qui passaient, et ils nous répondaient qu’ils devaient aller autre part. Ils n’ont pas bien fait leur boulot. Moi, à la place du ministre, j’aurai posé ma démission. Personne n’est venu nous aider, et mon neveu laisse un enfant de 11 ans".
"On ne peut pas les culpabiliser. On ne peut pas sauver tout le monde". Comme Luisa, beaucoup estiment avoir été abandonnés par une administration qui pourtant a l’habitude des incendies. Susanna elle a perdu sa maison et la grand-mère de son mari est décédée. Mais elle préfère s’en remettre à la fatalité : "malheureusement, les pompiers ne peuvent pas être partout. On ne peut pas les culpabiliser. On ne peut pas sauver tout le monde. Les biens, on pourra les récupérer et refaire une nouvelle vie mais les personnes décédées, on ne les retrouvera jamais. On vit ici, et on se retrouve sans rien".
Et chez tous les habitants que l’on rencontre, au-delà de la tristesse et la très forte émotion, il y a ce sentiment d’impuissance, cette impression qu’un tel drame pourrait se reproduire, malgré le travail sans relâche des pompiers sur le terrain. Le Portugal ne s’est jamais donné les moyens de prévenir et lutter efficacement contre les incendies.
En haut d’une colline, mercredi soir, un habitant observait le travail des canadairs. L’air résigné il nous lance : "regarde, ce ne sont que des avions espagnols et français". L’état portugais ne possède en effet aucun Canadair.