"Farce", "mascarade", "spectacle indigne" : les noms d'oiseaux volent depuis des mois autour du procès de Hubert Zafke, ex-infirmier âgé de 95 ans du camp de concentration d'Auschwitz, qui reprend lundi en Allemagne dans un climat exceptionnellement tendu.
La procédure ne tient qu'à un fil. L'ancien SS répond depuis le 29 février de "complicité" dans l'extermination d'au moins 3.681 juifs gazés dès leur arrivée dans le camp emblématique de la Shoah, entre le 15 août et le 14 septembre 1944. Mais à l'aube de la cinquième journée d'audience, qui s'ouvre à 09h (heure française) à Neubrandenbourg (nord-est), les faits n'ont jamais été abordés, aucun témoignage n'est prévu, et la procédure tient plus que jamais à un fil.
Conduit en chaise roulante par l'un de ses fils, Hubert Zafke a suivi lundi dernier, de son regard bleu, le défilé de médecins interrogés sur sa santé mentale. Mais à chaque fois que l'un d'eux l'estime apte à comparaître, le tribunal sollicite un autre avis. Oublie-t-il parfois de nourrir ses chats? Gave-t-il trop ses brebis? Pendant que juges et experts passent en revue sa vie quotidienne, "l'accusation regarde fixement dans le vide", raconte le quotidien Die Welt.
Des soupçons de partialité. Le vieil homme est le quatrième accusé d'une vague de procès tardifs du nazisme, après John Demjanjuk (2011), Oskar Gröning (2015) et Reinhold Hanning en mai dernier, tous condamnés dans une ambiance solennelle face à des salles combles. Mais à Neubrandenbourg, petite ville d'ex-RDA cernée par des lacs, l'audience a d'emblée livré un visage différent : celui d'une guérilla opposant le président du tribunal aux parties civiles et au parquet, qui le soupçonnent de partialité.
"Les parties civiles ont abandonné tout espoir que s'ouvre un jour, sous la présidence de ce magistrat, un procès qui soit autre chose qu'une farce", écrivaient lundi dernier leurs avocats, Thomas Walther et Cornelius Nestler. Les deux conseils ont réclamé à deux reprises la récusation du juge Klaus Kabisch, qu'ils accusent de saboter "par tous les moyens" sa propre audience. Le parquet - démarche rarissime - a formulé la même requête, qui doit être tranchée lundi. "La justice a rarement offert un spectacle aussi indigne", souligne l'hebdomadaire Der Spiegel, abasourdi par le contraste avec les précédents procès, émouvants et denses.
Des faits (trop) anciens. Soixante-dix ans après la Seconde guerre mondiale, l'âge avancé des suspects a fait échouer nombre de procédures contre d'anciens nazis. Un ex-gardien d'Auschwitz est mort une semaine avant son procès, en avril, alors que l'ancienne télégraphiste du même camp a été jugée inapte à comparaître la semaine dernière. Mais jamais la question n'avait empoisonné à ce point une audience, et personne ne sait si le tribunal examinera un jour les charges pesant sur Hubert Zafke.
Un "cache-sexe". Faute de débat judiciaire, les escarmouches entre accusation et défense se sont déplacées dans la presse où l'avocat de Hubert Zafke, Peter-Michael Diestel, a fustigé une procédure "humainement préoccupante" et "politiquement douteuse". "Je considère extrêmement pénible que la justice allemande n'ait pas, ou seulement de manière lacunaire, travaillé sur l'Holocauste et que l'on cherche à organiser un cache-sexe avec ce genre de procès", déclarait en février ce pénaliste de renom et dernier ministre de l'Intérieur de RDA.
La rareté des condamnations prononcées contre d'anciens nazis au XXe siècle a souvent été invoquée ces dernières années pour justifier la volonté, depuis le tournant Demjanjuk, de les juger "jusqu'au dernier". Mais pour Me Diestel, "on inflige ça aux mauvaises personnes alors que dans les années 1960-1970, les responsables ont été renvoyés chez eux avec des peines de complaisance, des non-lieux ou des acquittements".
Quatorze convois de déportés. Engagé à 19 ans dans les Waffen SS, Hubert Zafke a combattu sur le front de l'Est, suivi une brève formation au camp de Dachau et servi à Neuengamme et Auschwitz, auprès des médecins chargés de "sélectionner" les déportés envoyés à la mort. Sur la période visée par l'accusation, 14 convois de déportés sont arrivés à Auschwitz. Dans l'un d'eux se trouvaient Anne Frank, ses parents Otto et Edith ainsi que sa soeur aînée Margot. La mère de l'adolescente néerlandaise est morte d'épuisement à Auschwitz, tandis qu'Anne et Margot ont succombé à Bergen-Belsen début 1945.