Recep Tayyip Erdogan ira-t-il vraiment au bout de ses menaces ? Ou n'est-ce qu'une nouvelle rodomontade d'un dirigeant coutumier des saillies menaçantes ? Si la relation turco-européenne a toujours été tourmentée, la défiance a en effet atteint ces dernières semaines un niveau inédit. Au point qu'une rupture semble désormais possible, surtout si le président turc renforce ses pouvoirs, dimanche, grâce à "son" référendum.
Les accusations de comportement "nazi", "l'outrage de trop". La relation UE-Turquie "n'a jamais été un long fleuve tranquille", observe Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble en France et spécialiste de la Turquie, mais elle a atteint "une intensité verbale et une détérioration sans précédent". "On ne peut plus être sûrs qu'elle va survivre dans les prochains mois", estime le chercheur, jugeant "très symptomatique" que la Turquie "ait refusé de se rendre à la conférence sur la Syrie" début avril à Bruxelles.
Les accusations de comportement "nazi" proférées par l'homme fort de la Turquie à l'encontre de dirigeants européens, après l'annulation dans plusieurs pays de l'UE de meetings de campagne pro-Erdogan, semblent avoir marqué un tournant. "C'est l'outrage de trop", estime Marc Pierini, du centre de réflexion Carnegie Europe, car "raviver cette blessure est la pire chose qu'on peut faire aux Européens". "On a brûlé un pont concernant les relations personnelles", estime cet ex-ambassadeur de l'UE en Turquie.
Les flux migratoires, point de convergence. Pourtant, les intérêts communs qui conduisaient les deux parties à surmonter les précédentes poussées de fièvre n'ont pas disparu. La Turquie, membre de l'Otan, reste un partenaire militaire incontournable. Et malgré son rapprochement "ambigu" avec la Russie, "on peut difficilement imaginer une politique étrangère turque qui s'éloignerait par trop de l'Europe", estime Jean Marcou.
Même si Ankara a menacé plusieurs fois de rompre le pacte migratoire conclu en 2016 avec l'UE, l'accord n'a jamais cessé de porter ses fruits, avec des arrivées en Grèce par la mer Egée nettement moins nombreuses qu'au plus fort de l'afflux de 2015. "La Turquie trouve aussi un intérêt dans cet accord", explique Jean Marcou, soulignant les problèmes générés sur les territoires turcs par les flux migratoires vers l'Europe, ainsi que l'aide financière substantielle apportée par l'UE.
Entre tension exacerbée et intérêts convergents, le résultat du référendum pourrait donc être déterminant. En cas de victoire du oui, la rupture pourrait devenir inéluctable. "On aura un système unipersonnel sans beaucoup d'Etat de droit et de contrepouvoirs, autoritaire et bien évidemment en contradiction avec les critères politiques européens", anticipe Marc Pierini.
La Turquie "a parfaitement compris qu'elle n'entrerait pas dans l'UE". "Le scénario optimiste serait qu'une victoire du non - ou même potentiellement une victoire serrée du oui - conduise le président turc à reconsidérer son attitude combative face à l'Europe et essaye de réparer leur relation", avance Asli Aydintasbas, expert au Conseil européen des relations internationales. "Cela demanderait des progrès dans la terrible situation des droits de l'Homme en Turquie", encore dégradée par les vagues de répression après le coup d'Etat raté de juillet 2016. "Mais Erdogan est connu pour montrer un pragmatisme surprenant au moment le moins attendu", constatait-elle récemment.
Au fond, conclut Jean Marcou, la Turquie "a parfaitement compris qu'elle n'entrerait pas dans l'UE". La question est donc pour elle de savoir si elle doit quand même maintenir son "éternelle candidature" ou si "elle jugera à un moment qu'il est plus rentable de rompre avec l'UE".