Après la prise de la ville de Palmyre en Syrie par le groupe Etat Islamique, la question du nouveau rapport de force entre l’armée syrienne et l’organisation terroriste se pose.
Mercredi, on apprenait que la ville de Palmyre en Syrie tombait dans sa quasi-totalité dans l’escarcelle du groupe Etat Islamique (EI). Vingt-quatre heures plus tard, c’est la totalité de la ville qui est désormais contrôlée par l’organisation terroriste. Une prise symbole qui fait craindre pour ses habitants et sa cité antique, un joyau de l’archéologie inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité.
Que nous dit cette avancée majeure de l’Etat Islamique du nouveau rapport de force entre le groupe terroriste et l’armée de Bachar al-Assad ?
• Que signifie la prise de Palmyre pour l’Etat Islamique ? Est-ce une victoire ?
Attention aux mots. Selon Mathieu Guidère, interrogé par Europe 1, il ne faut pas parler de "victoire" mais de "prise" car "nous ne sommes pas sûrs que la ville restera sous la coupe de l’EI". Le spécialiste assure que les adversaires sont en train de revoir leur stratégie pour reprendre la ville. Néanmoins, "la prise de Palmyre démontre l’extraordinaire capacité de résilience de l’EI", explique Mathieu Guidère. "Ils maîtrisent parfaitement le terrain de leurs opérations et cela démontre que leurs capacités militaires ne sont pas dégradées après un an de bombardement militaire et d’intervention de l’armée régulière", poursuit-il.
• Est-ce un tournant dans la guerre entre l’EI et l’armée syrienne ? Quelle est la stratégie du groupe terroriste ?
Parler de tournant est là encore un mot trop fort. Mais cependant "comme à l’été 2014 avec la prise de Mossoul, il existe une dynamique positive favorable à l’EI", révèle Mathieu Guidère. Pour l’expert, la stratégie du groupe est très claire. "D’un côté, ils disent défendre les sunnites de Syrie et d’Irak qu’ils estiment être vitalement menacés par le régime chiite syrien et irakien ainsi que par le Hezbollah chiite. De l’autre, ils veulent asseoir leur contrôle sur toutes les régions chiites c’est-à-dire le Nord de la Syrie et le centre de l’Irak", détaille le spécialiste.
• Dans quel état se trouve l’armée syrienne après ce sérieux revers ?
L’armée de Bachar al-Assad paye les multiples défections de ses soldats. "Cette armée avait une composition inhabituelle", souligne Mathieu Guidère, "puisqu’elle était composée de commandants alaouites c’est-à-dire de chiites et de soldats majoritairement sunnites". Ce sont ces derniers qui ont déserté. Concrètement l’armée qui comptait au début de la guerre 300.000 hommes n’en a plus que 150.000. Moitié moins donc.
Ces hommes qui ont quitté l’armée ont d’abord rejoint l’armée syrienne libre avant de se radicaliser et de tomber sous le giron de groupes djihadistes et pour certains de l’EI. L’armée syrienne paye donc ces défections ainsi qu’un problème de motivation de ses troupes. Le point fort de l’armée de Bachar al-Assad reste cependant son approvisionnement en armes. Des armes fournies par l’Iran et surtout la Russie qui en envoie pas moins d’un milliard par an.
• Le régime syrien doit-il s'inquiéter de cette prise de Palymre ? L'EI est-elle en position de faire tomber le régime de Bachar al-Assad ?
Pour Mathieu Guidère, la réponse est positive. "Cette prise permet à l'EI de couper l'approvisionnement de l'armée du régime et d'instaurer une continuité territoriale avec ses propres troupes", explique-t-il, "c'est un affaiblissement pour le régime et un renforcement considérable des capacités de l'EI qui se trouve au carrefour de plusieurs routes stratégiques". Mathieu Guidère prédit encore : "si l'Iran et le Hezbollah ne renforcent pas leur soutien pour la reprise de Palmyre, les jours du régime de Damas sont comptés".
• Quelle position vont adopter les Occidentaux après la chute de Palmyre?
C’est toute la question selon Mathieu Guidère. Les Occidentaux doivent se réunir lundi prochain à Paris pour tenter d’avancer sur le dossier. Ce ne sera pas chose aisée tant les désaccords semblent forts entre les Etats. L’ordre des priorités n’est, en effet, pas le même selon les pays. "Certains estiment que le premier problème, c’est Bachar al-Assad, d’autres la politique confessionnelle de l’Irak ou encore l’EI elle-même", révèle Mathieu Guidère. "Le pire dans tout ça", poursuit le spécialiste, "c’est l’absence de projet politique car si le régime syrien tombe, il n’y a pas d’alternative". "En définitive, la population a le choix entre être massacrée par le régime ou par l’EI", conclut l’expert.
Qui sont les combattants qui composent l’EI ?
Selon Mathieu Guidère, le noyau dur de l’EI est essentiellement composé d’étrangers, "ceux qui se battent à mort, ceux qui sont les plus radicaux". Parmi ces étrangers, on compte les étrangers occidentaux qui représentent actuellement 20.000 combattants. Il y aussi ceux qui viennent d’autres pays musulmans, notamment du Maghreb ainsi que de l’Arabie Saoudite et de Jordanie. Enfin, "il y a aussi beaucoup de combattants locaux sunnites", ce qui fait un total de 50.000 hommes, d’après Mathieu Guidère.
Pour le spécialiste, cette impressionnant déploiement d’hommes lui fait dire que "l’EI n’est plus une simple organisation terroriste mais qu’elle est devenue une véritable insurrection sunnite dans des régions contrôlées par les chiites". Aucune comparaison n’est alors possible avec un autre groupe terroriste même Al-Qaida "qui n’a jamais eu le soutien de la population et qui n’a jamais contrôlé autant de territoire".