A quelques heures du "Leave", les "Brexiters" balancent entre espoir et angoisse

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Pauline Jacot, édité par Ugo Pascolo

Alors que le Brexit entre en vigueur ce vendredi à minuit heure française, les Britanniques qui ont voté en faveur de la sortie de l'Union européenne sont partagés entre espoir et désillusion. Europe 1 s'est rendu dans le nord-est industriel de l'Angleterre pour leur donner la parole. 

C'est aujourd'hui le B-Day, le Brexit Day. Trois ans et demi après le référendum de juin 2016, et des rebondissements à n'en plus finir, c'est ce vendredi soir à minuit heure française que le Royaume-Uni quitte l'Union européenne. A l'image de leurs députés qui ont déjà fait leurs valises et quitté le Parlement européen, le premier rétrécissement de l'UE est une grande émotion pour les Britanniques. Et pour certains qui ont voté en faveur du "leave", une source d'espoirs... ou de craintes. Europe 1 s'est rendu dans le nord industriel de l'Angleterre, sur les terres du Brexit.

À Hartlepool, "on va s'en sortir beaucoup mieux tout seul"

Dans ce territoire favorable à la sortie du Royaume-Uni, à Hartlepool, dans le nord-est de l’Angleterre, 70% des électeurs sont des "Brexiters", c'est l'un des plus hauts scores du pays. Mais ce n'est pas le seul record de la ville : avec un chômage deux fois plus élevé que la moyenne, Hartlepool a subit de plein fouet la fermeture des usines et la désindustrialisation, devenant par la même un symbole du marasme économique des années 1980.

Pour cette population qui se sent délaissée, sortir de l'Union européenne est une promesse de renouveau. "On va s'en sortir beaucoup mieux tout seul", affirme au micro d'Europe 1 Keith, un habitant qui attend sa sœur devant les portes coulissantes de l'hôpital. 

Alors que les urgences ont fermé il y a déjà quelques années, il en est persuadé, "beaucoup d'hôpitaux veulent rouvrir des services, maintenant nous avons plus de chances d’y arriver. On a donné trop d’argent à l’Europe". À quelques kilomètres de là, Janice se souvient de l'époque où Hartlepool n'était pas rattachée à l'UE. "La ville se portait très bien avant l'Europe. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent maintenant. Toute notre industrie a été délocalisée, on doit récupérer tout ça, je ne vois que des côtés positifs", lance-t-elle en regardant le long du port, là où les grues de chantier étaient légions il y a quelques années, et qui ont été depuis remplacées par des pubs. 

" Grâce au Brexit, nous allons pouvoir créer des emplois stables pour s’occuper de nos enfants "

Depuis 10 ans, les banques alimentaires se sont multipliées à Hartlepool, la ville d'un peu plus de 90.000 habitants en compte neuf. Dans l'une d'elles travaille en tant que cuisinier Mikael. Pour lui, Brexit rime avec emploi stable : "Nous allons avoir notre propre argent, nos usines, si tout se passe comme prévu, on va arrêter de changer de boulot tous les matins". Un espoir que partage également, Nora, venue pour de la nourriture. 

A Hartlepool, le Brexit est vécu comme un nouvel espoir. Crédit photo : Pauline Jacot/Europe 1

"Mon plus jeune fils était taxi, mais il travaillait trop, il a eu une crise cardiaque à 43 ans, et il est au chômage en ce moment", explique-t-elle. "L’Etat lui donne un peu d’argent mais c’est surtout moi qui m’occupe de lui en attendant qu’il se remette. L’Angleterre a donné tellement d’argent aux autres pays alors que nous, ici, nous souffrons, nous nous battons... Grâce au Brexit, nous allons pouvoir créer des emplois stables, pour avoir des prêts immobiliers, ou pour s’occuper de nos enfants."

À Sunderland, "on en a marre" du Brexit

Mais tous les "Brexiters" ne voient pas dans cette sortie de l'Union européenne l'aube d'une période faste. Les habitants de Sunderland, également dans le nord-est de l'Angleterre, ont eux aussi massivement voté pour le "leave" en juin 2016, avec 61% des suffrages. Mais alors que ce vendredi sonne le glas d'une époque, c'est la douche froide pour les habitants. Le territoire le plus pauvre du pays subit déjà les conséquences de la sortie du Royaume-Uni : l'économie tourne au ralenti, et l'angoisse de perdre l'usine Nissan, le poumon industriel de cette ville de 174.000 âmes, se fait de plus en plus pressante. Surtout depuis le cri d'alarme de la filière britannique il y a une semaine

" J'espère trouver du travail, je fais des formations, mais avec ce Brexit je n'y crois pas beaucoup "

"Nos salaires ont baissé, et forcément, c'est encore plus dur pour nos familles", peste Adam. Comme 3.000 de ses collègues chez Nissan, il a perdu sa prime de nuit. Encore un mauvais signal après l'arrêt de la production d’un modèle de luxe l’an dernier. "On en a marre", lance-t-il au micro d'Europe 1. "On sait tous ici que c’est à cause de l’incertitude liée au Brexit. On a dû être redéployés un peu partout dans l’usine." "J'espère trouver du travail, je fais des formations, mais avec ce Brexit je n'y crois pas beaucoup", raconte de son côté Josh, licencié de son emploi chez un sous-traitant automobile il y a six mois. 

Et la situation n'est guère meilleure dans le centre-ville de Sunderland, où beaucoup de magasins ont tiré définitivement leur rideau. Si elle n'en n'est pas encore là, Christine a du mal à joindre les deux bouts avec sa boutique de chaussures. "Mes fournisseurs n’achètent plus autant de marchandises à l’étranger : il y en a moins, et pour moi c’est plus cher", commente-t-elle. "Une fois que j’ai acheté mon stock et payé mon loyer, je n’ai plus grand-chose."

Après quasiment quatre ans de lutte pour sortir du giron de Bruxelles, sur les terres des "Brexiters", le B-Day se déroule entre espoir... et angoisse.