Le président Ashraf Ghani a fui Afghanistan dimanche, laissant de fait le pouvoir aux talibans qui sont entrés dans Kaboul, symbole de leur victoire militaire totale en tout juste 10 jours. "Les talibans ont gagné", a déclaré Ashraf Ghani sur Facebook, assurant avoir quitté son pays pour lui éviter un "bain de sang" car "d'innombrables patriotes auraient été tués" et la capitale "aurait été détruite" s'il était resté.
"Des unités militaires de l'Emirat islamique d'Afghanistan sont entrés dans la ville de Kaboul pour y assurer la sécurité", a annoncé dimanche soir sur Twitter un porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, ajoutant : "Leur progression se poursuit normalement".
Trois hauts responsables talibans ont affirmé à l'AFP que les insurgés s'étaient également emparés du palais présidentiel et qu'une réunion sur la sécurité de la capitale était en cours. Sur des images de télévision locale, on pouvait voir dimanche soir des talibans criant "victoire" dans le palais présidentiel.
Incertitudes sur la destination du président afghan
En 10 jours, le mouvement islamiste radical, qui avait déclenché une offensive en mai à la faveur du début du retrait des troupes américaines et étrangères, a pris le contrôle de quasiment tout le pays. Il est aux portes du pouvoir, 20 ans après en avoir été chassé par une coalition menée par les États-Unis en raison de son refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.
La débâcle est totale pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant 20 ans à coups de centaines de milliards de dollars par les États-Unis, mais qui se sont effondrées, et pour le gouvernement. Peu avant l'annonce des talibans, l'ancien vice-président Abdullah Abdullah avait le premier fait savoir que le président Ashraf Ghani avait "quitté" son pays, après sept années au pouvoir, sans préciser où il se rendait.
Le président afghan n'a pas dit non plus où il allait. La chaîne de télévision Tolo News a quant à elle évoqué le Tadjikistan. Son départ avait été une des principales exigences des talibans pendant les mois de négociations avec le gouvernement.
Un porte-parole des insurgés, Suhail Shaheen, a déclaré à la BBC qu'ils escomptaient un transfert pacifique du pouvoir "dans les prochains jours". Les talibans ont aussi promis qu'ils ne chercheraient à se venger de personne, y compris des militaires et des fonctionnaires ayant servi pour l'actuel gouvernement. Le ministre de l'Intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal, a également évoqué un "transfert pacifique du pouvoir" vers un gouvernement de transition.
"Ceci n'est pas Saïgon"
Les craintes sont fortes d'un vide sécuritaire à Kaboul, des milliers de policiers et de militaires ayant abandonné leur poste, leur uniforme et même leurs armes. Les Etats-Unis ont commencé l'évacuation vers l'aéroport, désormais seule porte de sortie du pays, de leurs diplomates et des civils afghans ayant travaillé pour eux qui craignent pour leur vie, soit quelque 30.000 personnes protégées par 5.000 soldats américains. L'ambassade américaine a parlé d'"informations à propos de tirs à l'aéroport", sans pouvoir les confirmer.
Le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a fait savoir que l'alliance aidait à sécuriser et à faire fonctionner l'aéroport, où convergent Occidentaux et Afghans pour tenter de fuir l'Afghanistan. Le président Joe Biden a défendu sa décision de mettre fin à 20 ans de guerre, la plus longue qu'ait connue l'Amérique. "Je suis le quatrième président à gouverner avec une présence militaire américaine en Afghanistan (...) Je ne veux pas, et je ne vais pas, transmettre cette guerre à un cinquième", a-t-il lancé dimanche.
"Ceci n'est pas Saïgon", a quant à lui assuré le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken sur CNN, évoquant la chute de la capitale vietnamienne, en 1975, un souvenir encore douloureux pour les États-Unis.
Kaboul avait déjà commencé à s'adapter à l'arrivée des talibans
Au fil de la journée, la panique s'est emparée de Kaboul. Les magasins ont fermé, des embouteillages monstres sont apparus, des policiers ont été vus troquant leur uniforme pour des vêtements civils. Dans le quartier de Taimani, dans le centre de la capitale, la peur, l'incertitude et l'incompréhension pouvaient se lire sur le visage des gens.
"Nous apprécions le retour des talibans en Afghanistan, mais nous espérons que leur arrivée mènera à la paix et non à un bain de sang. Je me rappelle, quand j'étais enfant, très jeune, les atrocités commises par les talibans", a déclaré Tariq Nezami, un commerçant de 30 ans.
Des signes étaient perceptibles que les gens étaient déjà résignés à changer de vie. Le panneau publicitaire d'un salon de beauté montrant une mariée glamour était ainsi badigeonné par un ouvrier dimanche dans un quartier de Kaboul. Beaucoup d'Afghans, surtout dans la capitale, et les femmes en particulier, habitués à la liberté qu'ils ont connue ces 20 dernières années, craignent le retour au pouvoir des talibans.
Lorsqu'ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, ces derniers avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler et les filles d'aller à l'école. Les femmes accusées de crimes comme l'adultère étaient fouettées et lapidées. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués.
Les talibans ont maintes fois promis que s'ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les "valeurs islamiques". Mais dans les zones nouvellement conquises, ils ont déjà été accusés de nombreuses atrocités : meurtres de civils, décapitations, enlèvements d'adolescentes pour les marier de force, notamment.
La France met "tout en œuvre pour assurer la sécurité des Français"
Un Conseil de défense relatif à la situation en Afghanistan se tiendra lundi à 12h00 en visioconférence, a indiqué dimanche l'Elysée. La France met actuellement "tout en œuvre pour assurer la sécurité des Français" encore en Afghanistan, sa "priorité absolue", et Emmanuel Macron "suit heure par heure la dégradation très préoccupante de la situation", a poursuivi la présidence française.
"La priorité immédiate et absolue dans les prochaines heures est la sécurité des Français, qui ont été appelés à quitter l'Afghanistan, ainsi que des personnels sur place, français et afghans", a indiqué l'Elysée à l'AFP. "Ces opérations, qui concernent plusieurs centaines de personnes, ont été menées à bien au cours des dernières semaines et se poursuivent", a précisé l'Elysée.
"La France est l'un des rares pays à avoir maintenu sur le terrain les capacités de protéger les Afghans qui ont travaillé pour l'armée française, ainsi que des journalistes, des militants des droits de l'Homme, des artistes et personnalités afghanes particulièrement menacées", ajoute la présidence.
"Les Français présents en Afghanistan ont été invités dès le mois d'avril 2021 à quitter le pays et ont eu la possibilité d'emprunter un vol organisé le 16 juillet dernier par les autorités françaises pour faciliter ce départ", avait précisé le Quai d'Orsay vendredi.
Vendredi, Paris avait par ailleurs promis "un effort exceptionnel" pour accueillir en France des personnalités afghanes menacées pour leur engagement en faveur des droits humains ou de la liberté d'expression - artistes, journalistes et défenseurs des droits. Paris précise avoir organisé depuis le mois de mai l'accueil de 625 Afghans employés dans les structures françaises présentes en Afghanistan et de leur famille.
La France, qui a eu recours ces dernières années à des civils recrutés localement pour aider son personnel sur place, en particulier des interprètes, a déjà organisé l'accueil de 550 personnes avec leur famille entre 2013 et 2015 et de 800 en 2018 et 2019, précise l'Elysée. Et comme d'autres pays européens, la France a suspendu depuis juillet les expulsions de migrants afghans déboutés de leur demande d'asile.