Comment la ville de Beyrouth, la capitale du Liban, a-t-elle pu être à moitié détruite ? En fin d'après-midi mardi, une première explosion a été entendue, suivie d'une autre très puissante qui a provoqué un gigantesque champignon de fumée dans le ciel. Cette seconde déflagration, dévastatrice, a été si forte qu'elle a été enregistrée comme un séisme de magnitude 3,3. Le souffle a été ressenti jusque sur l'île de Chypre, à plus de 200 kilomètres du port de Beyrouth, a détruit de nombreux bâtiments et a causé la mort d'au moins 100 personnes, tout en en blessant plus de 4.000.
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Un stock important de nitrate d'ammonium stocké "sans mesures de précaution"
D'après les premiers éléments de l’enquête, quelque 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, stockées "sans mesures de précaution" dans le port de Beyrouth, sont à l'origine de la puissance des déflagrations. Cette substance est un produit très dangereux qui avait déjà provoqué l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en 2001, comme nous vous l'expliquons dans cet article. L'importante cargaison était stockée à proximité d'un entrepôt de feux d'artifices, a assuré Badri Daher, le directeur des Douanes libanaises, tout en mettant en cause la direction du port, rapporte le quotidien de référence L'Orient le Jour.
Un incendie qui se serait propagé sur tout le port
"Il est inadmissible qu'une cargaison de nitrate d'ammonium soit présente depuis six ans dans un entrepôt sans mesures de précaution. C'est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire", a déclaré le Premier ministre devant le Conseil supérieur de défense mardi soir. Une source au sein des services de sécurité a indiqué à l'AFP que le nitrate d'ammonium avait été saisi sur un bateau en panne il y a six ans et entreposé au hangar numéro 12 du port, "sans aucun suivi". D'après les premiers éléments de l'enquête, un incendie s’est déclenché au hangar n° 9 avant de s’étendre au hangar n° 12, provoquant ainsi une réaction en chaîne.
Selon la rédactrice en chef de L'Orient le Jour, Emilie Sueur, invitée ce matin d'Europe 1, "des travaux de maintenance dans la zone portuaire" auraient pu causer la catastrophe, chose que l’enquête n'a pas encore démontré.
Plusieurs avertissements sur le stock de nitrate d’ammonium, certains datant de 2014
La négligence des autorités libanaises, au lendemain du drame, est pointée du doigt par l'ensemble de la population. Selon deux documents que l'agence de presse Reuters a pu consulter, les douanes ont demandé en 2016 et en 2017 à la justice de prier "l’agence maritime concernée" de ré-exporter ou d’approuver la vente du nitrate d’ammonium déchargé et stocké au hangar n° 12, afin d’assurer la sécurité sur le port. L’un des documents évoque des demandes similaires remontant à 2014 et 2015.
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Depuis mercredi matin, la direction du port et les douanes se renvoient donc la responsabilité de l'accident. Mais dans les rues de Beyrouth, c'est la désolation et la colère qui règnent. "L'apocalypse", titrait ce matin L'Orient le Jour. Depuis mardi soir, Europe 1 reçoit de nombreux témoignages de Libanais, dont celui de Fouad Zmokhol, président du Medef local. Selon lui, il n'y a aucun doute : la corruption de la classe dirigeante est responsable de la catastrophe, car le nitrate d’ammonium "a été stocké pendant plus de cinq ans dans le port, qui, comme toutes les frontières, dépend de l’État". Si la classe dirigeante le savait, "c'est un crime et si elle ne le savait pas, c’est un double crime", dénonçait-il à notre micro.