Europe 1 a pu recueillir le témoignage rare d'un homme, recruté par l'Etat islamique pour piller la ville antique de Palmyre.
C'est un témoignage exceptionnel, qui décrit de l'intérieur le fonctionnement très méthodique de l'Etat islamique. Amin a 50 ans, il a fait des études d'archéologie. Pendant trois mois, il a pillé la ville antique de Palmyre pour le compte du groupe terroriste, qui se livre à un trafic très organisé d'antiquités. Europe 1 a pu recueillir son histoire grâce à un journaliste syrien, Daham El Assaad.
"Du vol organisé de manière professionnelle". Amin raconte que ce sont les membres de l'Etat islamique qui sont venus le recruter. "Ils cherchaient des spécialistes en antiquités et j'ai signé un contrat. Avec leur département des antiquités, c'était une sorte d'exclusivité. En échange, ils prélevaient 30% de la valeur de ce que je leur apportais. Puis 50%, et 80%", explique-t-il. "Il y avait tellement de travail que j'embauchais moi-même trois, quatre ou cinq personnes. Je les payais à la journée, jamais plus de 2 ou 3 euros. Ensuite, j'emmenais moi-même les morceaux de ruines jusqu'à Raqqa", décrit Amin. Le quinquagénaire en convient : "C'est du vol d'antiquités, mais organisé de façon professionnelle."
Un trafic organisé du début à la fin. L'Etat islamique n'est pas la seule organisation à se livrer au trafic d'antiquités sur un terrain de conflit. Mais dans ce cas précis, l'organisation terroriste a systématisé, voire industrialisé les opérations. Elle va jusqu'à fournir le matériel à ceux qui n'en ont pas : des pelles ou des petits bulldozers pour creuser au milieu des ruines, ou arracher des statues par exemple. Tout est géré par un prétendu "ministre des Antiquités de Daech", Abou Moujahid Al Tounissi. À Raqqa, il centralise tout ce qui est déniché sur le territoire contrôlé par l'EI. Ensuite, "des étrangers viennent directement à Raqqa pour acheter les pièces. Un Américain notamment… Il venait avec un costume traditionnel arabe et ils le surnommaient Abou Firasse", se souvient Amin. "Il récupérait les pièces dans un entrepôt et il les faisait sortir par la Jordanie. L'Etat islamique vend principalement à destination des pays du Golfe. Ils ont des acheteurs réguliers, cet Américain et deux Syriens", précise-t-il.
De faux-papiers pour écouler les objets pillés. Cet entrepôt, spécialement dédié à ce trafic, se trouve à Raqqa, aux abords d'un parc autrefois très prisé des enfants, le jardin Al Rasheed. Amin a pu le montrer au journaliste syrien, Daham El Assaad. "C'est dans le sous-sol d'un immeuble. Un groupe est spécialement dédié à sa protection. À l'intérieur, tout est répertorié et bien rangé sur des étagères : vases, statues, pierres… De l'or aussi, parfois", atteste Amin. Il décrit des "hommes d'affaires, des vendeurs qui viennent se servir pour alimenter le marché noir". Ces vendeurs emmènent ensuite les objets "dans un autre pays, où ils font de faux-papiers. Ces faux-papiers authentifient les pièces et attestent du fait que ces objets étaient déjà hors de Syrie avant la guerre. Ça leur permet de les vendre sur le marché international et de les faire voyager", explique Amin.
Des vestiges sur des marchés européens. Des passeurs sont postés à chaque frontière avec la Syrie. Mais c'est principalement par la Jordanie qu'ils sortent avec des faux-papiers. Les plus petits objets, comme les pièces de monnaie, se vendent sous le manteau. Plus surprenant encore, Maamoun Abdulkarim, directeur des Antiquités de Syrie, raconte comme il a retrouvé des vestiges de Palmyre dans une vente publique en Angleterre. "On a arrêté la vente d'une partie d'une stèle pour 900.000 euros. Des objets sont présentés pour 200, 300 euros", assure-t-il. "Malheureusement, il y a des acheteurs. Et plusieurs fois, on les a appelé à ne pas acheter ces objets parce que cela finance le terrorisme", déplore-t-il.
Pour l'Etat islamique, la manne est énorme. Et cela n'intéresse pas que les collectionneurs privés. Les autorités suspectent les pays du Golfe et leurs familles royales de figurer parmi les acheteurs. Ils seraient en train de constituer des collections, pour les exposer dans les importants musées qui devraient voir le jour dans les prochaines années.