Machisme et harcèlement : "il y a chez vous en France, une sorte de loi du silence"

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PAROLES DE - Pour les correspondants étrangers en France, les politiques français franchissent des lignes que peu de confrères étrangers se permettraient d’outrepasser aujourd’hui.

"Cette histoire avec Denis Baupin, on aurait pu la voir en Suisse… mais il y a trente ans !". L’ironie de Jean-Noël Cuenot,  journaliste et écrivain suisse, installé en France depuis des années, est loin de faire exception lorsqu’on interroge les correspondants étrangers basés à Paris sur le rapport des hommes politiques français avec les femmes. Tous, unanimement, font la même observation : "il est temps que les politiques français changent leurs méthodes d’un autre temps !"

"Au début, certains m’appelaient 'mon petit lapin''

Les rapports de séduction sont sûrement ce qui a le plus marqué ces journalistes lorsqu’ils ont commencé leur travail de correspondant à Paris. "Au début, certains m’appelaient ‘mon petit lapin’", se souvient Anne-Elisabeth Moutet, du Daily Telegraph. La Norvégienne Vibeke Knoop Rachline, elle, se rappelle, les "gestes déplacés, les mains autour des épaules de certains politiques". Mais ce qui désole le plus cette correspondante pour le quotidien Aftenposten, à Paris depuis 40 ans, c’est la quasi "non évolution des mentalités en la matière, depuis les quatre dernières décennies".

Un avis partagé par Anna Navarro Pedro. "Il y a en France, dans le milieu politique, et pas seulement, une vision très rétrograde de la femme". La journaliste portugaise reconnaît que si elle vient d’un pays "profondément machiste, jamais les députés portugais ne se permettraient de faire les remarques qu’on entend dans l’Hémicycle à Paris. Il serait impensable qu’au Parlement une députée se fasse siffler pour sa tenue", ajoute-t-elle, faisant allusion à Cécile Duflot, malmenée par certains députés pour avoir porté une robe d’été à fleurs à l’Assemblée.

"Si le machisme est universel, en France il prend une forme très badine", souligne pour sa part Michel Beuret, journaliste suisse. "Ici on ne le prend pas très au sérieux. La séduction fait partie du jeu". Pour le correspondant de la RTS, cette particularité des codes de la vie politique française "est un héritage de la cour au temps de la monarchie.  Au fond la France est restée un pays très conservateur à bien des égards et le sexisme ambiant en politique en est l’expression".

Une classe politique qui ne s’est pas renouvelée 

"Le conservatisme de la classe politique française" : voici une observation commune à tous ces journalistes étrangers. "En Italie, nous avons eu de gros scandales sexuels avec Silvio Berlusconi, mais depuis, nous avons fait le ménage. La classe politique italienne s’est entièrement renouvelée et aujourd’hui je considère que les femmes sont bien plus respectées à la chambre des députés italienne, qu’elles ne le sont à l’Assemblée nationale en France", avance Alberto Toscano, journaliste et écrivain, en France depuis les années quatre-vingt.

" La vie politique en France est beaucoup plus rigide et beaucoup plus figée que dans beaucoup d’autres pays "

L’absence de renouvellement de la classe politique - et de ses travers – interpelle ces journalistes étrangers. "La vie politique en France est beaucoup plus rigide et beaucoup plus figée que dans beaucoup d’autres pays", renchérit Alberto Toscano, "les politiques ont donc gardé des habitudes vieilles de plusieurs décennies. Et ce machisme, cette façon de considérer les femmes comme ‘de belles choses à regarder’, demeurent également. La France n’a pas donné aux femmes l’espace nécessaire".

La parité, remède au mal(es) qui gangrène la politique française

Un espace qui s’appelle la parité, pour Magnus Falkehed, correspondant suédois pour le quotidien Dagens Nyheter. "Je crois que la seule issue pour que les femmes françaises soient considérées d’égal à égal, et que ce machisme ambiant cesse, ce sont les quotas". Pour ce journaliste, quand un scandale comme celui de Dominique Strauss Kahn à New York ne fait pas bouger les lignes alors il faut employer les grands moyens. Et il n’est pas le seul à faire cette observation.

"Au Danemark, c’est en voyant les femmes exercer le pouvoir aussi bien que les hommes que le machisme ambiant a disparu", raconte la Danoise Solveig Gram Jensen, du Jylland Posten. Pour elle, il existe un lien évident entre le harcèlement dont font objet les femmes qui fréquentent la classe politique française et leur sous représentation dans les instances dirigeantes. "Les femmes sont une minorité dans la vie politique française, elles sont 27% au Parlement, là où l’Italie en compte 31% et l’Espagne 42%", fait remarquer le Suisse Jean-Noël Cuenot.

La loi du silence

Mais la parité n’est pas le remède miracle. Les affaires de harcèlement par des hommes politiques ne sont pas une exception française. Elles existent dans bien des pays. "En Allemagne, nous avons eu un scandale qui a touché le social-démocrate Rainer Brüderle", raconte Stefan Simons, correspondant pour le magazine allemand Der Spiegel. "Lors d’une rencontre avec une journaliste allemande du magazine Stern, Brüderle a eu des gestes déplacés". Mais dès le lendemain ou la semaine d’après, la journaliste en a fait un papier dans son magazine. Et c’est là, toute la différence avec la France, selon le journaliste. Après cette histoire, le regard et le comportement des hommes politiques allemands a changé. "Il y a, chez vous en France, une sorte de loi du silence, une omerta autour du comportement des dirigeants", poursuit-il.

La Norvégienne Vibeke Knoop Rachline fait la même observation. "Je ne dis pas qu’une affaire comme celle qui concerne Denis Baupin ne pourrait pas arriver en Norvège, en revanche, elle serait tout de suite rendue publique". La journaliste conclut sur une touche un peu plus optimiste en disant espérer que cette affaire "aura du bon en permettant, enfin, de mettre fin à la loi du silence, mais surtout à ces comportements inacceptables".