Les manifestations violentes secouent le Venezuela depuis plusieurs semaines sur fond de crise économique grave. On compte déjà 26 morts depuis le début du mois d'avril. Quels sont les dessous de ces manifestations voulues "pacifiques" ? Franck Gaudichaud, enseignant-chercheur à l'Université de Grenoble-Alpes, spécialiste de l'Amérique latine, a répondu aux questions d'Europe1.fr.
- Qui affronte qui dans la rue ?
"Les principales manifestations sont appelées par l'opposition, la Table de l'Unité Démocratique, qui entend protester contre l'autoritarisme du président Maduro et sa récente tentative de confisquer le pouvoir. En parallèle, il y a aussi des contre-manifestations menées par le pouvoir pour essayer de montrer qu'il est toujours populaire. Au milieu des militants, on trouve également des "colectivos", qui sont des groupes civils armés. On assiste à des situations d'affrontements très tendues", explique le spécialiste.
Malgré le rapport d'Amnesty International qui dénonce la répression des autorités au Venezuela, il semble que la majorité des morts ne soit pas imputable aux policiers qui, pour le moment, tirent avec des balles en caoutchouc. "Du côté de l'opposition, on a aussi des gens armés, tentés par une insurrection. Le pays se trouve dans un grave moment de crise et les morts se trouvent des deux côtés des barricades. Le chef de la police de Caracas lui-même a été blessé par balles. Par ailleurs, certains décès durant ces journées de manifestations sont dus à l'autodéfense des commerçants", détaille Franck Gaudichaud. Car au cours des manifestations, certains en profitent pour piller des magasins, poussés par les ravages de la crise économique.
L'appel de l'opposition à rejoindre le centre de Caracas jeudi, considéré comme un bastion du pouvoir, pour protester pourrait envenimer encore le conflit. "Comme c'est un secteur dans lequel les manifestations ne sont pas autorisées, la réaction de la police pourrait être encore plus forte et violente", prévoit le spécialiste.
- Quel a été l'élément déclencheur de ces manifestations ?
"L'opposition dénonce le fait que le gouvernement ait repoussé à une date indéterminée les élections des gouverneurs régionaux qui devaient avoir lieu fin 2016. Une mesure prise à cause du chaos politique et économique, d'après le gouvernement. En réalité, il s'agit sans doute d'une manoeuvre pour éviter que l'opposition ne remporte la majorité des sièges et ne soit en position de force au Parlement.
Mais il y a aussi le référendum révocatoire proposé par l'opposition qui, même s'il a reçu toutes les signatures nécessaires, a également été repoussé", détaille Franck Gaudichaud. Ce référendum est une disposition prévue par la constitution pour révoquer le président de la République. Puisque les Vénézuéliens ne peuvent se faire entendre dans les urnes, ils s'expriment dans la rue.
Le pays traverse également une grave crise économique. Les Vénézuéliens doivent parfois faire la queue pendant plusieurs heures pour acheter du pain, de la farine ou du riz. Les coupures de courant sont régulières et le prix du pétrole a explosé. Des circonstances qui ont poussé certaines classes populaires, traditionnellement aux côtés du gouvernement, à se joindre à l'opposition. De plus, "toutes les mesures sociales de Chavez qui leur étaient favorables sont en train de tomber ou d'être remises en cause par le chaos économique, le marché noir et la corruption", appuie le spécialiste.
- Quelle peut être l'issue de ces affrontements ?
"Pour l'instant, gouvernement et opposition sont dans une fuite en avant en appelant sans cesse à de nouvelles manifestations alors que des groupes armés veulent aussi en découdre. La solution serait de continuer les tables de négociation et d'appeler à établir un calendrier clair d'élections régionales et nationales, respectant ainsi la constitution de 1999", propose Franck Gaudichaud. Des négociations sous l'égide du Vatican avaient déjà été entreprises en 2016, sans succès.
"D'autre part, le président Maduro ne cesse de dénoncer des ingérences de pays extérieurs, notamment les États-Unis, mais se montre incapable de restaurer la situation interne." Difficile dans ce contexte d'avoir recours à un arbitrage extérieur. Quant aux pays d'Amérique latine, ils sont désormais en majorité gouvernés par une droite que rejette le président vénézuélien. "Nous sommes face à un blocage total. Mais l'initiative doit venir du gouvernement qui devrait commencer par organiser les élections prévues pour canaliser les forces d'opposition", professe l'enseignant-chercheur.