La police turque a une nouvelle fois fondu dimanche sur la Marche des Fiertés LGBTQ+ à Istanbul, interdite par les autorités, interpellant sans ménagement près de 400 personnes, militants et journalistes, dont un photographe de l'AFP. Avant même le début du rassemblement, la police antiémeutes a effectué une descente musclée dans les cafés et les rues du quartier de Cihangir, autour de l'emblématique place Taksim, arrêtant les personnes qui s'y trouvaient, a constaté l'AFP. "373 personnes ont été arrêtées. Toutes (...) avaient été libérées au matin du 27 juin", a indiqué l'association turque de défense des droits LGBTQ+ Kaos GL.
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Certaines, dont le photographe de l'AFP Bülent Kilic, ont été relâchées peu avant 23 heures (20 heures GMT), plus de six heures après leur interpellation. Mais la plupart des personnes interpellées étaient toujours aux mains de la police, selon les organisateurs de la marche et l'association de défense des droits LGBTQ+, Kaos LG. Douze personnes ont été également arrêtées dans la ville d'Izmir (ouest), selon Kaos LG. Comme chaque année désormais, la Marche des Fiertés avait été interdite par le gouverneur de la ville, mais des centaines de manifestants brandissant des drapeaux arc-en-ciel se sont rassemblés dans les rues adjacentes à la place Taksim, entièrement fermée au public.
"L'avenir est queer"
Scandant "L'avenir est queer !", "Vous ne serez jamais seuls !" ou "On est là, on est queer, on n'ira nulle part ailleurs !", les manifestants ont ensuite défilé pendant un peu plus d'une heure dans les rues pentues du quartier de Cihangir, soutenus par les riverains postés aux fenêtres. "On essaie de nous interdire, de nous empêcher, de nous infliger des discriminations et même de nous tuer à chaque minute de notre existence" a confié à l'AFP Diren, 22 ans.
"Mais aujourd'hui, c'est l'occasion de défendre nos droits, de crier qu'on existe : jamais vous n'arriverez à arrêter les queers", ajoute Diren, usant du vocable qui désigne toute forme d'altersexualité et réfute la définition biologique du genre. Selon plusieurs témoins, la police a tenté d'empêcher la presse de filmer les arrestations. Bülent Kilic, photographe expérimenté et primé de l'AFP, habitué aux zones de conflit, avait déjà été arrêté l'an passé dans les mêmes circonstances.
Sur Twitter, l'organisation de défense de la presse Reporters sans Frontières (RSF) a regretté que les autorités turques semblent "avoir pris l'habitude d'arrêter le photojournaliste de l'AFP, Bülent Kilic". "Malgré trois condamnations prononcées par la Cour constitutionnelle ces trois dernières années, les forces de l'ordre continuent les violences et les détentions arbitraires contre les journalistes. Malheureusement, l'administration a pris l'habitude de ne pas tenir compte des décisions de la Cour ni de la loi", a ajouté le représentant de RSF, Erol Onderoglu.
[1/2] RSF'den @ErolOnderoglu: İstanbul #OnurYürüyüşü'nü izleyen AFP fotomuhabiri #BülentKılıç'ı gözaltına almayı polis bir alışkanlık haline getirmişe benziyor. Gazeteci geçen yıl da boğazına basılarak gözaltına alınmış, şiddet gazeteci örgütlerince Valilik önünde kınanmıştı. pic.twitter.com/6f1OZmSzcF
— RSF Türkçe (@RSF_tr) June 26, 2022
Une marche progressivement interdite
Depuis un spectaculaire défilé en 2014 de plus de 100.000 personnes à Istanbul, les autorités turques ont progressivement interdit la Marche des Fiertés, avançant des raisons de sécurité. Vendredi, la Commissaire européenne aux droits humains, Dunja Mijatovic, avait appelé "les autorités d'Istanbul à lever l'interdiction en vigueur sur la Marche des Fiertés et à garantir la sécurité des manifestants pacifiques". "Les droits humains des personnes LGBT en Turquie doivent être protégés", avait-elle ajouté, réclamant qu'il soit "mis fin à (leur) stigmatisation".
L'homosexualité, dépénalisée en Turquie depuis le milieu du XIXe siècle (1858), n'est pas interdite, mais reste largement soumise à l'opprobre social et à l'hostilité du parti islamo-conservateur au pouvoir, l'AKP, et à celle du gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan. Un ministre a traité par le passé les homosexuels de "détraqués".
En 2020, la plateforme Netflix avait été contrainte de renoncer à la production d'une série en Turquie parce qu'elle présentait un personnage gay et n'avait pas obtenu le feu vert des autorités. La même année, la marque française d'équipements et de vêtements sportifs Decathlon avait fait l'objet d'appels au boycott en Turquie pour avoir véhiculé dans ses campagnes des messages de soutien aux communautés LGBTQ+.