Dénonciation d'une "rupture de solidarité". Ou, a minima, appel à une prise de "position commune". De François Fillon à Emmanuel Macron en passant par Nicolas Dupont-Aignan ou Europe Écologie - Les Verts, une large part de la classe politique française s'est émue de la tenue à Metz, dimanche, d'un meeting pro-Erdogan en présence du ministre turc des Affaires étrangères après une semaine de tensions entre Ankara et différents partenaires européens, à commencer par les Pays-Bas et l'Allemagne. Différentes manifestations y ont été annulées.
Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), et spécialiste de la Turquie, n'est pas convaincu : "On aurait manqué à une solidarité européenne si l’UE avait décidé d’une politique commune, ce n’est pas le cas. En revanche, la France devrait condamner les références au nazisme, mais c'est tout." Et les partenaires européens n'en attendaient pas nécessairement beaucoup plus.
Des questions de politique intérieure. Aux Pays-Bas, en Allemagne comme en France, le choix de s'opposer (ou non) à ces réunions publiques a d'abord répondu à des problématiques nationales. En Allemagne, la présence d'une très forte communauté turque et les tensions prégnantes avec Ankara depuis de longues semaines ont été décisives. "Le gouvernement allemand n'a pas interdit les meetings, contrairement à ce qu'on entend beaucoup, notamment de la part de Marine Le Pen", rappelle Hélène Kohl, correspondante à Berlin pour Europe 1.
En période d'élection, la raison part en vacances.
"Il y a eu la semaine dernière une réunion entre les ministres allemand et turc des Affaires étrangères pour connaître la liste des meetings qu'ils souhaitent organiser", développe-t-elle. "Et puis, l'Allemagne a accueilli Wilders pendant sa campagne, Marine Le Pen à Coblence, Barack Obama en 2008… Au nom de quoi interdirait-on les meetings turcs ? Après, on peut regarder les questions de sécurité et c'est le prétexte qui a été invoqué dans les villes où des réunions ont été annulées", explique Hélène Kohl.
Le piège d'Erdogan. La mairie de Rotterdam et le gouvernement néerlandais sont eux montés au créneau, s'attirant les foudres (et les accusations de "nazisme") de Recep Tayyip Erdogan. "Le gouvernement néerlandais a pensé qu'il fallait réagir de la sorte parce que la tension était énormément montée", nous explique Stefan De Vries, journaliste néerlandais installé à Paris. "Et puis, en période d'élections (législatives, le 15 mars), la raison part en vacances. Normalement, les Pays-Bas ne cherchent pas l'opposition, ce qui se passe est assez atypique. C'est exactement ce que souhaitait Erdogan."
Les autorités françaises ont, elles, avancé la "liberté de réunion" et l'absence de risque avéré de trouble à l'ordre public pour ne pas s'opposer à un partenaire essentiel. Ce choix a été observé de près aux Pays-Bas, "parce que le ministre turc se rendait à Metz après ce qui s'est passé à Rotterdam", selon Stefan De Vries. Mais il n'a pas spécialement surpris l'opinion néerlandaise. "Ce qu'a fait la France n'est pas très chic mais beaucoup de pays considèrent que ces questions relèvent de la souveraineté nationale. En Europe, on ne pense pas aux partenaires européens, ce n'est pas le réflexe."
Le conflit diplomatique entre les Pays-Bas et la #Turquie s'aggrave. Au consulat NL à Istanbul, le drapeau a été remplacé par https://t.co/MhHFVc7P6F
— Stefan de Vries (@stefandevries) 12 mars 2017
L'UE et l'Otan ont fini par réagir. Quant aux Allemands, "ça fait un mois demi qu'ils sont sur ces questions, depuis que des perquisitions ont été menées dans des mosquées turques parce que les renseignements ont des documents qui montrent que le régime leur a demandé de surveiller leurs ouailles", explique Hélène Kohl. " Le problème, c'est l'exportation en Allemagne de la politique intérieure turque, avec tous ses déchirements. Alors, les Néerlandais ou les Français, les Allemands s'en lavent les mains, même si ce qui s'est passé aux Pays-Bas a été suivi et plutôt salué par une opinion qui appelle Angela Merkel à plus de fermeté face à Erdogan."
L'Union européenne et l'Otan, au sein de laquelle la Turquie est un partenaire, sont finalement sortis du bois lundi. L'UE exhorte Ankara "à s'abstenir de toute déclaration excessive et d'actions qui risqueraient d'exacerber encore la situation", dans un communiqué de la responsable de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, co-signé par le commissaire Johannes Hahn, chargé de la politique de voisinage de l'Union. "J'encourage tous les alliés à faire preuve de respect mutuel, à être calmes et à avoir une approche mesurée pour contribuer à une désescalade des tensions", a plaidé de son côté devant la presse le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg. Dans le même temps, un ministre turc évoquait un "réexamen" de l'accord sur la gestion des flux migratoires en provenance du Moyen-Orient.