Celle qu’on surnommait "la néonazie silencieuse" a enfin parlé. Beate Zschäpe est la principale accusée de l'un des plus grands procès d'après-guerre en Allemagne. Mercredi, elle est sortie de son mutisme pour rejeter toute responsabilité dans une série de meurtres racistes imputés à un groupuscule néonazi, et qui ont profondément secoué le pays.
Un procès ouvert depuis deux ans. "Je n'ai été impliquée ni dans la préparation ni dans la commission" de ces assassinats commis entre les années 2000 et 2007, a affirmé Beate Zschäpe, devant une Cour de Munich, dans une déclaration écrite lue par son principal avocat, Mathias Grasel.
C'est la première fois que cette femme de 40 ans, qui a longtemps dissimulé son visage devant les caméras, s'exprime depuis qu'elle s'est rendue à la police le 8 novembre 2011. Son procès, très médiatisé avant de s'embourber notamment dans des détails de procédure, s'est ouvert il y a deux ans et demi, en mai 2013. "Je me sens responsable moralement de ne pas avoir pu influer" sur les deux complices de l'époque pour empêcher les meurtres et "je m'excuse sincèrement auprès de toutes les victimes", a-t-elle ajouté.
Le groupe Clandestinité national-socialiste. Beate Zschäpe, qui a vécu 14 ans dans la clandestinité, s'est présentée en complice passive de ses deux acolytes - aujourd'hui morts - qui seuls auraient tout fomenté et mis en oeuvre au sein du groupuscule néonazi Clandestinité national-socialiste (NSU). Elle risque une peine de prison à perpétuité pour sa participation présumée à neuf meurtres xénophobes, ainsi que celui d'une policière en 2007.
"J'étais sidérée" face aux actes qu'ils commettaient dans toute l'Allemagne, a-t-elle affirmé dans le texte lu par son avocat. Progressivement, "j'ai pris conscience que je vivais avec deux hommes pour qui la vie humaine n'avait pas de valeur", a-t-elle ajouté, expliquant s'être "résignée" et ne pas avoir eu le courage de quitter Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos, décédés à 34 ans et 38 ans respectivement il y a quatre ans.
Jeux et alcool pour oublier. Ils se sont donné la mort le 4 novembre 2011 alors qu'ils étaient sur le point d'être découverts par la police. Et c'est par hasard, en enquêtant sur leur mort, que la police est remontée jusqu'aux meurtres. Beate Zschäpe a raconté avoir passé son temps à se morfondre pendant que les deux hommes tuaient des étrangers ou braquaient des banques. "Je me suis distraite avec des jeux sur ordinateur et ai bu de plus en plus de vin mousseux, trois à quatre bouteilles par jour", a-t-elle dit.
Les meurtres visaient des petits commerçants, la plupart turcs ou d'origine turque, dans toute l'Allemagne. Les familles ont été accusées à tort et jamais la piste xénophobe n'a, semble-t-il, été explorée sérieusement par les enquêteurs. Cette affaire a profondément bouleversé l'Allemagne car le trio a pu agir en toute impunité pendant des années, jetant une lumière crue sur les défaillances des services de renseignement intérieur.
La colère des familles des victimes. L'Allemagne avait présenté des excuses devant l'ONU pour les erreurs commises pendant l'enquête et la chancelière Angela Merkel avait exprimé "la honte" de son pays devant ces crimes. Un avocat des victimes, Mehmet Daimagüler, a qualifié les explications données mercredi de "construction mensongère" visant à se disculper à peu de frais. "Je n'ai pas cru un mot de ce qu'elle a dit, elle peut garder ce type d'excuses pour elle", a-t-il ajouté. L'ancienne activiste avait au préalable récusé sa première équipe d'avocats, qui lui conseillait de conserver le silence. Elle a toutefois pris des précautions en refusant de s'exprimer elle-même oralement et en se bornant à une déclaration écrite. La fille d'une des victimes, Gamze Kubazik, a réagi avec colère, en parlant "d'une gifle" pour les parties civiles.
L'accusée, originaire d'ex-RDA, est jugée pour sa participation présumée à cette série de dix meurtres, deux attentats à l'explosif contre des communautés étrangères et quinze braquages. Aux côtés de Beate Zschäpe sur le banc des accusés figurent quatre autres néonazis soupçonnés d'avoir fourni une aide logistique au trio. De par son ampleur, ce procès est sans équivalent depuis celui de la "bande à Baader" il y a 38 ans.