Vue d’Europe, où on réfléchit à l'instauration de quotas pour gérer l'afflux de migrants clandestins, la scène a malheureusement un air de déjà vu. Depuis quelques semaines, un nombre sans précédent de migrants affluent dans la mer d’Andaman, le long de la Thaïlande, de la Malaisie et de l’Indonésie. Un flux grandissant d’embarcations de fortune qui tentent de rejoindre ces trois pays mais se heurtent à l’intransigeance de ces Etats, qui refusent de les laisser accoster et les repoussent dans les eaux internationales. Un "ping-pong humain" et meurtrier dénoncé par de nombreuses ONG mais qui risque de durer longtemps : les pays concernés refusent en effet de coopérer pour endiguer cet afflux de migrants clandestins.
Une multiplication de bateaux remplis de migrants. Depuis plusieurs jours, les organisations internationales affirment que des milliers de migrants sont en perdition en mer, abandonnés par leurs passeurs et dans l’impossibilité d’accoster. Et pour cause : là où les pays Européens bricolent des opérations d’urgence pour éviter les naufrages, les pays d'Asie du Sud Est multiplient les patrouilles maritimes pour repousser les bateaux de migrants au-delà de leur frontière maritime. Kuala Lumpur a ainsi refolé environ 600 migrants qui se trouvaient à bord de deux bateaux, imitant l'Indonésie qui avait renvoyé une embarcation un peu plus tôt dans la semaine.
Jeudi après-midi, des journalistes de l’AFP ont pu approcher un bateau transportant environ 300 migrants rohingyas, à la dérive en mer d'Andaman à proximité des côtes thaïlandaises. "Nous sommes en mer depuis deux mois. Nous voulons aller en Malaisie mais nous n'avons pas réussi à atteindre le pays", a affirmé l'un des migrants, avant d’ajouter : "environ 10 personnes sont mortes au cours du voyage. Nous avons jeté leurs corps dans l'eau". Repéré par la marine thaïlandaise, le bateau n’a pas été pour autant remorqué : les autorités ont largué quelques vivres et dépêché quelques militaires pour réparer le moteur de ce bateau afin qu’il reprenne la route vers la Malaisie et l’Indonésie.
Qui sont ces migrants et que fuient-ils ? Cet afflux de migrants prêts à tout pour rejoindre la Malaisie, l’Indonésie ou la Thaïlande a plusieurs explications. Pour les personnes quittant le Bangladesh, pays parmi les plus pauvres au monde et englué dans le sous-développement, l’explication est avant tout économique : avec un PIB par habitant multiplié par quatre en Indonésie, par six en Thaïlande et par onze en Malaisie, ces pays représentent un eldorado économique.
Le cas des Rohingyas est, lui, dramatique : cette ethnie majoritairement musulmane est persécutée depuis des décennies par le régime autoritaire birman, théoricien d’une pureté nationale dans laquelle le bouddhisme est roi et les autres religions n’ont pas leur place. Les Rohingyas, qui vivent le long de la frontière Ouest, sont donc considérés comme une menace intérieure et sont la cible de vagues de violences fréquentes. L'ONU estime même que c'est l'une des minorités musulmanes les plus persécutées au monde. Leur avenir dans leur propre pays étant des plus incertains, les Rohingyas fuient donc la Birmanie et se tournent vers les pays musulmans de la région les plus riches : l’Indonésie et surtout la Malaisie.
Le PIB par habitant des pays de la régions (source : Banque mondiale)
Birmanie : Inconnu (dernière estimation de 2008 : 1.200 dollars)
Bangladesh 957 dollars
Thaïlande 5.800 dollars
Indonésie : 3.475 dollars
Malaisie : 10.500 dollars
Un funeste "ping-pong humain". Cette migration n’est pas nouvelle mais emprunte depuis peu de nouveaux chemins, ce qui la rend plus visible : jusqu’à présent, les migrants attirés par la Malaisie transitaient par voie terrestre via le sud de la Thaïlande, une zone insurrectionnelle que le régime a du mal à contrôler. Mais la découverte de fosses communes contenant les restes de clandestins a poussé Bangkok à réagir et à davantage contrôler cette zone. Résultat, les migrants birmans et bangladais sont désormais obligés de prendre la mer pour rejoindre la Malaisie.
Un changement d’itinéraire bien plus meurtrier et qui pousse la communauté internationale à se pencher sur la question. "Les marines thaïlandaise, malaisienne et indonésienne devraient cesser de jouer ce ping-pong humain, et devraient au contraire travailler ensemble pour sauver tous ceux sur ces funestes bateaux", a souligné Phil Robertson, directeur adjoint en Asie de Human Rights Watch. Les Etats-Unis ont eux renouvelé leur appel aux pays de la région "à coopérer pour sauver des vies en mer".
Des Etats qui refusent de se coordonner. Dans une telle situation, les pays d’une région ont en effet pour habitude d’organiser un sommet pour aborder en commun le problème et trouver une réponse coordonnée. Par exemple en mettant en place des procédures de sauvetage pour ensuite renvoyer les migrants dans leur pays d'origine. La Thaïlande a ainsi invité 15 pays concernés par la crise le 29 mai à Bangkok.
Mais le dialogue s’annonce plus que compliqué. "Il est peu probable que nous participions. Nous n'acceptons pas s'ils (les Thaïlandais) nous invitent uniquement pour alléger la pression à laquelle ils sont confrontés", a réagi le régime birman. Et ce dernier d’estimer que le problème ne provient pas de son pays, dont sont pourtant originaires une bonne partie des migrants, mais qu’il concerne les pays visés par les migrants clandestins. Pendant ce temps, la mer d’Andaman engloutit de nouveaux cadavres.