L'enquête est exceptionnelle. Pendant six mois, un journaliste du magazine Spécial Investigation de Canal+ a infiltré les milieux djihadistes en France et filmé son quotidien en caméra caché. Dans son documentaire diffusé lundi soir par la chaîne cryptée, il montre le fonctionnement et les coulisses de ce qui ressemble à une branche française de Daech, une organisation qui contrôle parfaitement son image. Ce journaliste que nous appellerons Saïd Ramzi, était l'invité de l'interview découverte de Caroline Roux lundi sur Europe 1.
Une faute de langage peut coûter cher. Au cours de son enquête, dont le but premier était de comprendre les motivations des djihadistes, le journaliste explique avoir eu peur "à peu près tout le temps". "Je pense que le moment où j’ai eu le plus peur, c’est quand (un) projet (d'attentat) a été un peu plus acté et que l’on m’a parlé d’une arme qui était cachée dans la forêt que je devais récupérer. A ce moment-là, j'ai eu assez peur de la trouver et de ce qui allait se passer par la suite", raconte Saïd. "Je ne savais plus trop quoi faire", poursuit-il. Dans l'organisation, la moindre faute de langage peut permettre d'être démasqué. "Ils ne s’appellent pas Daech, ils refusent cette appellation. Ils s’appellent Dawla, ceux qui en Arabe veut dire Etat. Et pour eux, c'est très important de mettre en avant le fait que c'est un Etat comme les autres", explique le journaliste.
"L'objectif final, c'est de mourir en martyr". Durant son reportage, ses interlocuteurs lui proposent très vite de mourir en martyr, "dès le premier rendez-vous", avance Saïd. "L'objectif final, c'est de mourir en martyr", insiste-t-il. Quelques semaines plus tard, l'injonction à mourir lui arrive d'un homme qu'il n'a jamais rencontré auparavant. Une lettre lui explique par ailleurs comment fabriquer une ceinture d'explosifs. "C'était une lettre avec beaucoup de rappels religieux et des phrases plus opérationnelles du type 'Comment attaquer une boîte de nuit', comment nous allions nous y prendre, tout le processus d'un attentat", témoigne Saïd.
"Les Français, il faut qu'ils meurent par milliers". Il se retrouve également face à un interlocuteur qui lui dit : "les Français, il faut qu'ils meurent par milliers". "C'était difficile à en entendre", raconte le journaliste. "En même temps, j'avais déjà mangé beaucoup de propagande de Daech, donc ce sont des phrases qu'ils répètent naturellement", poursuit-il. La période d'infiltration sera cependant stoppé nette quelques semaines plus tard lorsque le journaliste reçoit un SMS : "T'es cuit, mec". "Là, on arrête tout", explique le journaliste.
"Des pauvres types". Aujourd'hui, Saïd admet qu'il a "peur" des représailles, mais qu'il ne regrette à aucun moment sa démarche. "Je voulais démontrer que nous, les musulmans de France, on peut faire quelque chose, parce que ces gens-là nous parlent facilement, il faut dire ce qui est. Donc il ne faut pas hésiter à le faire quand on peut le faire", affirme Saïd. "Je voulais aussi montrer aux gens à qui on a à faire. "Je trouve que parfois dans les médias, comme avec Abdeslam, on les starifie un peu et ça donne des exemples. Finalement, quand on regarde le documentaire, on voit à qui on a affaire. A des pauvres types."