Une petite mer cruciale pour les exportations de céréales et d'acier produits dans l'est de l'Ukraine. Au cœur d'une lente montée des tensions depuis plusieurs mois, la mer d'Azov s'est brusquement retrouvée ce week-end au cœur de la première confrontation ouverte entre Moscou et Kiev depuis l'annexion de la Crimée, en 2014. Conflit territorial, navires capturés et loi martiale : Europe 1 fait le point sur ce que l'on sait de cet épisode et ses enjeux.
Que s'est-il passé dimanche ?
Trois navires ukrainiens, dont deux petits bateaux de guerre, se dirigent vers le port ukrainien de Marioupol lorsque survient un premier incident, dans la matinée. Selon Kiev, l'un des bateaux est percuté par un garde-frontière russe. Les services de renseignements de Moscou reconnaissent la collision mais la relient, eux, à des "actes de provocation" des ukrainiens, "entrés illégalement dans une zone temporairement fermée des eaux territoriales russes".
La tension franchit un nouveau cran dans la soirée, lorsque la marine ukrainienne accuse la Russie de s'être emparée des trois navires après avoir tiré sur leurs occupants, blessant plusieurs personnes à bord. Le président ukrainien Petro Porochenko dénonce "un acte agressif de la Russie visant une escalade préméditée" dans la zone. Quelques heures plus tard, un haut-comité militaire est réuni et envisage, pour la première fois, d'introduire la loi martiale "pour 60 jours".
Pourquoi cette région est-elle particulièrement sensible ?
La mer d'Azov revêt une position particulièrement stratégique. Profonde de seulement 14 mètres, elle est entourée au nord par l'Ukraine, au sud par la Crimée - annexée par Moscou en 2014 - et à l'est par la Russie. Ses eaux baignent aussi le sud du Donbass, la région d'Ukraine où le conflit armé entre Kiev et les séparatistes pro-russes a fait plus de 10.000 morts en quatre ans. A l'Ouest, elle est reliée à la mer Noire par le détroit de Kertch.
En 2003, les présidents russe et ukrainien de l'époque, Vladimir Poutine et Léonid Koutchma, avaient conclu un accord prévoyant "la gestion conjointe" par leurs pays de la mer d'Azov et du détroit de Kertch, considérés comme "les eaux intérieures de l'Ukraine et de la Russie". Mais Moscou revendique le contrôle des eaux au large de la Crimée depuis l'annexion de la péninsule, en 2014. En 2016, les tensions ont été relancées avec la construction par la Russie d'un pont traversant le détroit, pour relier la Crimée à la Russie. L'ouvrage a été inauguré en mai 2018 par Vladimir Poutine lui-même, au volant d'un camion.
L'installation des arches de l'édifice, en 2017, a déjà "coupé la voie à une partie des navires, trop grands pour passer en-dessous", selon Oleksandre Oliïnyk, directeur du port de Marioupol. Ces derniers mois, les garde-frontières russes ont commencé à retenir des bateaux, officiellement pour des contrôles, provoquant des protestations, car ces opérations pèsent lourd sur les exportations ukrainiennes. Sur les sept premiers mois de l'année, les recettes des ports de Marioupol et Berdiansk, l'autre grand port ukrainien de la mer d'Azov, ont chuté de presque un quart par rapport à la même période en 2017.
Que change l'adoption de la loi martiale en Ukraine ?
"La loi martiale ne signifie pas une déclaration de guerre" à la Russie, "elle sera introduite uniquement pour la défense", a assuré le président ukrainien, lundi. Finalement adoptée pour trente jours, elle visera les régions frontalières du pays dès mercredi matin, mais le pouvoir ne procédera à la restriction des libertés civiques qu'en cas d'"agression terrestre russe", selon Petro Porochenko. Sur le plan symbolique, l'initiative reste lourde : elle est inédite depuis l'indépendance de l'Ukraine, en 1991.
Y-a-t-il un risque de guerre ?
La brusque escalade du week-end ravive une tension prégnante depuis quatre ans. Si les accords de paix signés en février 2015 ont permis de réduire considérablement les affrontements entre les deux camps, des flambées de violence continuent d'éclater régulièrement sur la ligne de front. Au-delà de la tentative d'étouffer ses ports, Kiev estime que Moscou prépare une offensive contre Marioupol, dernière grande ville sous contrôle ukrainien dans l'Est. De fait, la tension monte également sur le plan militaire : en mai, Moscou a transféré cinq de ses navires militaires de la Caspienne vers la mer d'Azov, tandis que Kiev a affirmé en juillet qu'une quarantaine de vedettes de combat russes s'y trouvaient déjà.
Ce brusque regain de tensions intervient dans un contexte international, à quelques jours d'une rencontre prévue entre Vladimir Poutine et Donald Trump au G20. Depuis dimanche, la diplomatie russe accuse Kiev de chercher à "créer un prétexte pour renforcer les sanctions" de l'Union Européenne et de Washington contre la Russie, déjà en place depuis 2014. Mais derrière la confrontation navale se dresse aussi le spectre de la politique intérieure : à Moscou, Vladimir Poutine a récemment vu sa cote de popularité dégringoler sur fond de problèmes économiques et d'une fronde sans précédent contre une impopulaire réforme des retraites. En Ukraine, Petro Porochenko, confronté à des problèmes similaires, cherche à se faire élire pour un deuxième mandat à la présidentielle du 31 mars prochain. "Détourner l'attention de ces problèmes est dans l'intérêt des autorités", estime l'analyste Konstantin Kalatchev, interrogé par l'AFP. "Voilà donc le moyen le plus facile de protéger leur popularité".