Pourquoi le torchon brûle entre l’Union européenne et la Pologne

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Le président polonais lance un regard peu amène au président du Conseil européen Donald Tusk, comme un symbole de la tension entre Varsovie et Bruxelles. © EMMANUEL DUNAND / AFP
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avec AFP
L’Union européenne a activé mercredi son article 7, qui permet à terme des sanctions, contre Varsovie, accusée de vouloir, par le biais de réformes judiciaires, porter atteinte à l’Etat de droit. 

Ça chauffe entre Bruxelles et Varsovie. La Commission européenne a décidé d’activer mercredi son article 7 à l’encontre de la Pologne. Cette procédure, sans précédent, peut aboutir notamment à priver le pays de son droit de vote dans l’Union. Cette première historique a été rendue nécessaire, selon les commissaires européens, par les atteintes portées selon eux à l’Etat de droit par les réformes judiciaires engagées par le Pis, le parti de droite dure au pouvoir depuis 2015.

  • Qui est le Pis, le parti au pouvoir ?

Le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość en polonais) a été fondé en 2001 par les frères Jaroslaw et Lech Kaczynski, en unifiant divers mouvements de droite. Clairement situé à la droite de la droite, le mouvement est eurosceptique et conservateur. Opposé à l’avortement, à toute forme d’union des homosexuels, il est également nationaliste. Au pouvoir entre 2005 et 2007 avant d’entrer durablement dans l’opposition, il remporte la présidentielle de mai 2015 avec Andzej Duda, puis les élections législatives en octobre de la même année. Le Pis dispose désormais de la majorité au Parlement, avec 242 sièges sur 460. Il a ainsi toute latitude pour lancer des réformes, notamment du système judicaire.

  • Quelles sont les réformes contestées ?

Trois textes sont en particulier dans le viseur de Bruxelles. Le premier concerne la Cour suprême. Il prévoit la mise à la retraite d’office de ses membres à 65 ans et non plus à 70 ans, pour accélérer sa recomposition. Il prévoit en outre, et surtout, la nomination de ses juges par une commission judiciaire désignée par le Parlement. Alors même que ladite Cour suprême doit se prononcer, notamment, sur la validité des élections.

Le second texte porte sur le Conseil national de la magistrature. Jusqu’alors, ses membres étaient élus par le milieu judicaire. Selon le nouveau texte, les 15 membres seront élus par le Parlement à partir d’une liste unique, sur laquelle chaque groupe politique pourra inscrire au moins un candidat, et jusqu’à neuf maximum. Ce dispositif est censé prévenir une trop grande domination du parti majoritaire en place. Mais il n’empêche pas la mainmise du politique sur la justice.

C’est encore plus vrai du troisième et dernier texte controversé. Il permet au ministre de la Justice de nommer ou de révoquer les présidents de tribunaux de droits communs, y compris les cours d’appel. Et ce sans consulter les assemblées générales des juges et le Conseil national de la magistrature, comme c’était le cas jusqu’alors.

Cette dernière loi avait déjà été promulguée par le président Duda, qui avait cependant apposé son veto aux deux premières. Mais après l’activation de l’article 7 par la Comission européenne, le dirigeant polonais a décidé de les promulguer, accentuant l’impression de guerre ouverte entre Bruxelles et Varsovie.

  • Comment se défend la Pologne ?

Le président polonais s’est montré particulièrement remonté contre la décision de la Commission. "Beaucoup de représentants des institutions européennes disent des contre-vérités sur la Pologne. Ils mentent quand ils disent que les changements en Pologne conduisent à violer les principes de l'Etat de droit, alors que nous renforçons les normes de la démocratie", a affirmé Andrzej Duda, lors d'un entretien accordé à la chaîne privée Polsat.

Quant aux textes proprement dit, le président Duda a assuré qu’ils introduisaient "de très bonnes solutions qui amélioreront l'efficacité du système judiciaire. Le caractère démocratique du système judiciaire est renforcé". L’objectif du Pis est de mettre fin à un "caste corrompue" et de permettre la "décommunisation" de la justice, autrement dit pousser vers la sortie des juges formés à l'époque communiste.

 

L’article 7, une arme nucléaire à portée lente

Si l’article 7 du traité de l’Union européenne est la procédure la plus radicale existant contre un pays bafouant les règles européennes, son activation relève pour l’heure davantage du symbole. Elle permet de mettre l’accent sur une potentielle " violation grave et persistante" des valeurs de l'UE,  définies dans l’article 2, à savoir le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, le respect de l'État de droit (concerné en l’espèce) et des droits de l'homme. L’activation de l’article 7 peut aboutir en théorie sur une suspension de ses droits de vote au sein de l'Union. Mais nous n’en sommes pas là.

Car la partie de l'article 7 déclenchée mercredi ne concerne que sa phase dite "préventive", pas encore celle prévoyant des sanctions. Varsovie dispose désormais de trois mois pour répondre aux inquiétudes de Bruxelles, en modifiant ses réformes judiciaires. Si elle ne le fait pas, un vote des Etats membres sera organisé, lors duquel ils seront invités à "constater l'existence d'un risque clair" contre l'Etat de droit. Cette décision, pour être adoptée, nécessiterait l'aval d'au moins 22 pays sur 27 (la Pologne ne voterait pas).

En cas de statu quo en Pologne, une deuxième phase de l'article 7 pourrait ensuite être lancée. Cette fois les Etats membres, réunis en sommet européen, seraient invités à constater "l'existence d'une violation grave et persistante de l'Etat de droit". Ce constat nécessiterait cette fois d'être pris à l'unanimité (à 27). D'éventuelles abstentions n'y feraient "pas obstacle", selon le traité. Si cette étape était franchie, les pays membres se réuniraient enfin au niveau ministériel pour adopter des sanctions, dont la possible suspension des droits de vote de Varsovie. Il faudrait à ce stade l'aval de 20 pays sur 27.