Sayfullo S. a projeté sa camionnette sur des piétons et des cyclistes mardi à New York, tuant huit personnes, dans un acte terroriste commis au nom du groupe État islamique. Ce ressortissant ouzbek de 29 ans, installé légalement aux États-Unis depuis 2010, n’a pas caché sa fascination pour l’organisation djihadiste lors de sa garde à vue. L’Ouzbékistan fournit depuis plusieurs années un important contingent de combattants djihadistes, notamment au sein de Daech.
Les Ouzbeks impliqués dans des attentats
Sayfullo S. vient s’ajouter à une liste déjà longue de terroristes d’origine ouzbek qui ont commis des attentats meurtriers aux États-Unis et en Europe depuis le début de l’année, certains ayant fait leurs armes aux côtés de Daech en Syrie et en Irak.
- Lors de la nuit du Nouvel-An le 31 décembre 2016, un Ouzbek a ouvert le feu dans une boîte de nuit à Istanbul, en Turquie, tuant 39 personnes.
- Un attentat-suicide dans le métro de Saint-Pétersbourg, en Russie, a fait 14 morts et plus de 50 blessés en avril dernier. Le kamikaze, né au Kirghizistan et qui avait obtenu la nationalité russe, faisait partie de la minorité ouzbek.
- Le 7 avril, un camion s’est élancé contre la foule d’une rue piétonne à Stockholm, en Suède, tuant cinq personnes. La police a arrêté un Ouzbek de 39 ans qui a avoué être le conducteur du camion.
- Un citoyen ouzbek a été condamné à quinze ans de prison le 29 octobre dernier par le tribunal de New York pour avoir affiché son soutien à Daech, a rapporté Le Monde. L’homme avait notamment dit publiquement son intention de s’en prendre au président Obama en 2014.
L’Ouzbékistan, vivier de djihadistes
Pays laïc à majorité musulmane, le plus peuplé d’Asie centrale avec 32 millions d’habitants, l’Ouzbékistan est devenu un vivier de l’islamisme radical. Des mouvements actifs ont émergé dans les années 1990 dans le but de combattre le régime pour installer la charia. "Il existe un gros mouvement traditionnel fournisseur de djihadistes ouzbeks qu’est le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO). À la suite de deux insurrections sur le sol national dans les années 1990, les pouvoirs locaux les ont délogés de leur base arrière, dans la vallée de Ferghana. Le MIO s’est alors installé plus loin, a cherché d’autres lieux de combats et beaucoup sont partis à l’étranger", explique Didier François, spécialiste des questions de Défense à Europe 1.
" 1.500 Ouzbeks combattent pour Daech "
Le MIO a notamment rejoint l’insurrection des talibans en Afghanistan, avant de prêter allégeance à l’organisation État islamique en 2015. "Une grande partie du MIO a basculé en Syrie, parce que les Russes y soutiennent Bachar al-Assad, donc c’était logique pour eux de combattre là-bas" aux côtés de Daech, poursuit Didier François. "C’est difficile d’avoir le nombre précis d’Ouzbeks présents dans les rangs de Daech, mais il y a deux brigades issues du Caucase et d’Asie centrale de 3.000 hommes environ qui combattent au sein de l’organisation", détaille Didier François. Les Ouzbeks y représenteraient le plus important contingent : d’après un rapport du centre Soufran spécialisé des questions de sécurité publié en octobre, Daech compterait quelque 1.500 combattants ouzbeks dans ses rangs.
Radicalisés hors de l’Ouzbékistan
En réponse à cet islam radical qui se mutait en opposition politique, l’Ouzbékistan du président Karimov (1991-2016) a sévèrement encadré la pratique de la religion, jusqu’à réprimer les plus activistes. Contrôle des mœurs, muselage de la dissidence et misère sociale ont poussé des millions de jeunes Ouzbeks à fuir leur pays ces dernières années. Et si les plus convaincus ont rejoint Daech, d’autres ont pu se radicaliser dans leur pays d’accueil.
"Cette approche sécuritaire a pu favoriser le basculement de certaines personnes", explique à franceinfo Samuel Carcanague, chercheur spécialiste de l’Asie centrale à l’Iris. "Cela étant, dire que l'Ouzbékistan est le foyer de l'islam radical est un peu exagéré. En l'occurrence, tous les terroristes ouzbeks qui ont perpétré des attentats récemment n'habitaient plus en Ouzbékistan depuis un certain temps", nuance-t-il.
Des Ouzbeks mal intégrés. La plupart des terroristes ouzbeks se sont en effet radicalisés en dehors de leur pays d’origine, confirme à Reuters Steve Swerdlow, spécialiste de l’Asie centrale pour Human Rights Watch : "ces personnes radicalisées sont souvent seules, loin de chez elles, ce sont des marginaux qui se sentent détachés de leur communauté." C’est le cas de l’auteur de l’attaque de Manhattan, qui s’est radicalisé après avoir rejoint les États-Unis.
Selon des experts de l’Ouzbékistan, les cas comme Sayfullo S. font partie d'une "génération oubliée" d'hommes ayant quitté l'ancienne république soviétique dans l'espoir d'une vie meilleure, ce qui a pu les conduire vers l'islam radical. Et ces diasporas deviennent des cibles idéales pour les recruteurs djihadistes.