C'était il y a dix ans, jour pour jour : le 17 décembre 2010, le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'immolait par le feu dans la ville de Sidi Bouzid, en Tunisie, après s'être vu confisquer ses outils de travail, une charrette et une balance. L'acte, désespéré, va très vite déclencher une vague de contestation dans tout le pays, mais aussi dans les pays voisins, comme en Libye ou en Égypte, faisant naître un véritable "printemps arabe". Moins d'un mois plus tard, le dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali quitte le pays, contraint à l’exil.
"Virer une dictature, c'était incroyable"
À l'époque, les espérances étaient immenses pour Ameni Ghimagi : "Pour une jeune fille de 18 ans, vivre ça, c'était incroyable. Virer une dictature, voir tout ce peuple bouger pour la même chose…", se rappelle-t-elle au micro d'Europe 1. Son visage et sa rage faisaient même la une du journal Libération, le 15 janvier 2011, avec cette pancarte brandie lors d'une manifestation : "Ben Ali, dégage". Mais dix ans plus tard, son constat est mitigé : "On n'est pas arrivé là où on voudrait être."
" Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux et de voir comment les gens s'expriment "
Pourtant, au départ, la transition démocratique va vite. Le pays se dote d'une nouvelle Constitution en 2014, des élections libres sont organisées et un réel pluralisme politique voit le jour. Mais le rêve est rattrapé par la réalité économique : la récession est à 9% et le taux de chômage atteint 16% aujourd'hui, loin du "liberté, travail, dignité" revendiqué par les manifestants tunisiens.
"Instabilité politique permanente"
"Il y a une instabilité politique permanente et ils (les autorités) ne s'occupent pas du chômage et de la misère", peste Nadia Khiari, caricaturiste. "De nombreux jeunes préfèrent aller chercher ailleurs des opportunités de travail, principalement en Europe, que ce soit clandestinement ou légalement", abonde Henda Chennaoui, journaliste activiste.
Il y a cependant un progrès immense, loué par tous : l'avènement d'une liberté d'expression impensable sous Ben Ali. "Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux et de voir comment les gens s'expriment, avec un discours vraiment très libre", illustre Nadia Khiari. Un discours libre, mais aussi très énervé. C'est aussi le ton employé par des magistrats en grève depuis plus d'un mois pour protester contre leurs conditions de travail, jugées catastrophiques dans une Tunisie au climat social explosif.