Quand elle ne détruit pas les trésors archéologiques qui se trouvent sur son chemin, comme les pièces du musée de Ramadi en Irak ou encore les antiquités de Palmyre en Syrie, l'organisation Etat islamique revend de nombreuses pièces à l'international et notamment à Londres. C'est ce que révèle une enquête menée par le Guardian. La journaliste du quotidien anglais, accompagnée d'un archéologue spécialiste du Moyen-Orient, Mark Altaweel, ont ratissé les antiquaires de la capitale anglaise pour en avoir le cœur net. Et leurs découvertes sont stupéfiantes. Officiellement, personne n'a vu passer de tels objets, mais l’archéologue s'étonne tout de même de découvrir très facilement des pièces "qui proviennent très probablement de zones de conflits" en Irak et en Syrie. Des objets si spécifiques qu'il ne semble pas possible de se tromper. Et la facilité de ces trouvailles dans des magasins londoniens fait dire à l'archéologue que ce pillage a certainement lieu à "une échelle industrielle", reprenant une expression de l'Unesco.
Aucune traçabilité. A Londres, les antiquaires interrogés sur la provenance des objets soupçonnés évoquent un vendeur privé qui a lui-même évoqué une collection de famille, ou bien encore une éventuelle vente aux enchères. Impossible d'obtenir la traçabilité des marchandises. Aucun papier, aucune preuve. Plus loin dans l'enquête du Guardian, un vendeur explique avoir recueilli des fragments de verre très récemment, lesquels seraient issus de Jordanie. Mais Mark Altaweel est formel : les pièces ne sont pas jordaniennes, ce qui pousse l'archéologue à considérer qu'elles viennent aussi très probablement de Syrie.
Une pratique courante. La journaliste du Guardian a également interrogé un expert dans la vente illégale d'antiquités, Sam Hardy. Pour lui, la pratique qui consiste à camoufler la provenance d'une pièce en assurant qu'elle se trouve depuis longtemps dans une famille est courante. Elle permet évidemment d'écarter tout soupçon de contrebande. "Le secteur repose sur la confiance", affirme encore l'expert. "En ne conservant pas de traces, les antiquaires facilitent la tâche aux acheteurs, qui peuvent se convaincre qu'aucune preuve d'un acte répréhensible ne pourra jamais sortir", détaille-t-il encore. Enfin certaines pièces disparaissent de longues années avant de réapparaitre, ce qui rend plus difficile, une fois de plus, les reconstitutions de parcours.
"L'EI a institutionnalisé le pillage." Selon un archéologue syrien, le pillage existe depuis longtemps dans ces régions. Seule différence notable, "quand L'EI est arrivé, il a institutionnalisé le pillage", explique-t-il, ajoutant que Daech a ainsi renforcé l'organisation et l'ampleur de ce trafic. L'enquête ne dit pas –car il est impossible de le savoir- quels objets, quand ni comment cette contrebande s'opère. Mais la journaliste suppose que les biens pillés s'écoulent via Internet ou bien par l'intermédiaire de collectionneurs privés. Pour l'EI, cette contrebande représente une manne considérable que le Conseil de sécurité de l'Onu tente de contrer en interdisant le commerce illégal d'objets illégalement emportés de la Syrie depuis 2011 et l'Irak depuis 1990, rappelle le Guardian. Malheureusement, l'application de ces mesures est rendue très compliquée à cause de l'instabilité qui règne actuellement dans ces régions.