Le gouvernement ne pourra pas botter en touche éternellement. Pour l’heure, la France n’est pas concernée par la condamnation à mort de l’un de ses ressortissants emprisonnés en Irak. Mais la question pourrait se poser très vite. Dimanche, une djihadiste allemande a ainsi été condamnée à la peine capitale en Irak pour avoir rejoint l’Etat islamique. Actuellement, au moins trois Françaises sont en attente d’un jugement, et pourraient donc se voir infliger la même punition.
Le gouvernement n’a pour l’instant pas fait connaître sa position officielle. Tout juste ses membres se bornent-ils à répéter que l’Irak est un pays doté d’un Etat légitime, et dont la justice est souveraine (les cas de la Syrie, avec qui l’Hexagone a rompu ses relations diplomatiques, et du Kurdistan, non reconnu par la communauté internationale, sont encore plus complexes). Pourtant, traditionnellement, la France ne laisse pas exécuter ses ressortissants. Le cas des djihadistes pourrait donc être un bouleversement de cette doctrine.
Pas de citoyen français exécuté depuis 1977
Le dernier Français à avoir été exécuté s’appelle Jérôme Carrein. C’était en 1977, et surtout, c’était sur le sol français. Depuis, la peine de mort a été abolie en France et le pays veille à ce que ses ressortissants ne subissent pas la peine capitale à l’étranger. Le cas très médiatique de Serge Atlaoui donne un exemple saisissant de cette lourde mobilisation diplomatique.
Le cas emblématique de Serge Atlaoui. En avril 2015, après un refus de révision de son procès ce Français est définitivement condamné à la peine de mort pour trafic de drogue en Indonésie. Son exécution est annoncée en préparation. La machine diplomatique se met alors en branle. Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, convoque l’ambassadeur d’Indonésie au Quai d’Orsay.
Le président François Hollande se fend d’un appel pour que l’archipel sursoie à l’exécution de Serge Atlaoui, prévenant qu'"elle serait dommageable pour les relations que nous voulons avoir avec elle". De son côté, le porte-parole du Quai d’Orsay rappelle que "La France est opposée à la peine de mort, en tout lieu, en toute circonstance". Si l’Indonésie refuse de commuer la peine, Serge Atlaoui n’a toujours pas été exécuté, près de trois ans plus tard.
Quand un condamné à mort américain devint français. Autre exemple plus méconnu mais tout aussi représentatif, celui de Michael Legrand. Né aux Etats-Unis de parents américains, ce natif de la Louisiane a été adopté à l’âge de 13 ans par un oncle français. Condamné à mort en 2001 pour le meurtre d’un ami cubain, il voit dans l’obtention de la nationalité française, conseillée par ses avocats, une chance d’échapper à la peine capitale. Bien qu’il ne soit jamais allé en France, c’est chose faite en 2003. Depuis, il bénéficie de la protection consulaire française et peut espérer que la France saisisse la Cour internationale de justice, ce qui retarderait encore l’échéance.
Quid des djihadistes ?
Cet abattage diplomatique fera-t-il défaut concernant les djihadistes français ? Les déclarations des membres du gouvernement ou de la majorité peuvent le laisser penser. "L'Irak est un État souverain, reconnu par la communauté internationale. Il serait difficile de ne pas reconnaître les poursuites de la justice irakienne", disait ainsi Gérard Collomb, le ministre de l’intérieur, en novembre dernier au JDD. Même argument au même moment pour Jean-Yves le Drian, ministre des affaires étrangères. "S’il y a des prisonniers en Irak, les choses sont simples : c’est aux autorités judiciaires irakiennes de traiter la situation des hommes et des femmes combattantes", avait déclaré le chef de le diplomatie française sur RMC.
" L’ambassade de France en Irak pourra difficilement s’en laver les mains "
"On sent bien qu’il y a un embarras", analyse pour Europe1.fr François-Bernard Huyghe, directeur de recherches à l’Iris. Pour cet universitaire toutefois, la France ne restera pas muette en cas de condamnations à mort de l’un de ses ressortissants. "On ne va pas dire : ‘allez-y, pendez-les’. L’ambassade de France en Irak pourra difficilement s’en laver les mains. Il y aura donc des protestations, bien sûr, mais qui pourraient n’être que formelles." Pour l’auteur de Daech, l’arme de la communication dévoilée, le discours pourrait bien être "hypocrite. Car on sera quand même enchantés de ne pas avoir à régler le problème des djihadistes français sur notre sol."
Tout dépendra de l’émotion suscitée
Reste que si la France ne se mobilise qu’à demi-mots, les avocats des Français concernés comptent eux bien activer ce levier. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à le faire. Trois d’entre eux, qui défendent deux femmes* capturées après la prise de Mossoul, en juillet dernier, ont rendu publique mercredi une lettre envoyée à Emmanuel Macron. "La France, non seulement a aboli la peine de mort en 1981, mais fait partie des pays en pointe dans la mise en oeuvre d'une ambition aux fins de (la) voir abolie universellement (…) en toutes circonstances, quelle que soit la gravité des crimes commis", écrivent Me William Bourdon, Vincent Brengarth et Martin Pradel, qui citent précisément "l'exceptionnelle mobilisation" des autorités concernant Serge Atlaoui.
Les défenseurs des droits de l’Homme ont également commencé à monter au créneau. "Il est interdit d'extrader un Français vers un pays qui applique cette sentence. Le rapatriement de nos ressortissants qui risquent cette condamnation devrait donc s'imposer", estimait par exemple Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), au Huffpost début janvier.
Nul doute donc que le débat surgira avec une grande acuité si un Français est condamné à mort en Irak. Tout dépendra ensuite de l’accueil. "La chance de survie des Français condamnés à mort sera proportionnelle à l’émotion qu’ils parviendront à susciter, dans les médias et surtout dans l’opinion publique" , estime Bernard-François Huyghe. Une large mobilisation pourrait contraindre le gouvernement, et même Emmanuel Macron à prendre les choses en main. "Mais je ne suis pas persuadé que des djihadistes français soulèvent une grande vague de sympathie", tempère le chercheur.
* Qui sont ces deux Françaises ?
Mélina a été arrêtée dans les ultimes jours de la bataille de Mossoul, dans l’une des dernières rues de la vieille ville défendue par l’Etat islamique. Elle était alors réfugiée dans un sous-sol avec ses quatre enfants. Depuis, trois d’entre eux ont été rapatriés en France. Le dernier, un nourrisson, est avec sa mère à Bagdad, où elle a été transférée.
La deuxième Française s’appelle Djamila. Elle a 28 ans et est originaire de Lille. Comme Mélina, la djihadiste est incarcérée avec son enfant. Elle est passée par un camp de détention au nord de Mossoul où plusieurs centaines d’étrangères sont détenues. À l’issue du procès, les deux Françaises risquent la peine de mort par pendaison.