Le gouvernement irakien a annoncé dimanche la reprise de Mossoul, bastion du goure Etat islamique, après des mois de combats. Une libération qui marque le recul de l'organisation terroriste, de plus en plus acculée, mais qui reste toutefois très active. Agnès Levallois, professeur à Sciences-Po et spécialiste du Moyen Orient, fait le point sur la situation.
- Mossoul est tombée, est-ce un coup rude porté au groupe Etat islamique ?
Incontestablement ! C'est une perte considérable pour l'organisation Etat islamique puisque le discours fondateur de l'organisation avait été prononcé du minaret de la mosquée al-Nouri, à Mossoul, par le djihadiste Abou Bakr al-Baghdadi. Le fait que tombe cette ville, présentée comme la capitale pour l'Irak de l'Etat islamique et comme le point à partir duquel l'organisation voulait s'étendre sur le territoire, est un coup extrêmement dur.
- Ce coup symbolique peut-il, d'un point de vue tactique, être considéré comme une réel avancée pour les forces sur le terrain ?
C'est très important parce que c'est une ville de deux millions d'habitants, à l'origine. On voit bien que la stratégie qui a été menée par les forces irakienne, avec l'appui de la coalition internationale, fait que l'organisation est en train de perdre du territoire. Il se réduit aujourd'hui à une peau de chagrin. L'organisation ne contrôle plus grand chose par rapport au territoire qu'elle a été amenée à contrôler à la période la plus faste de son histoire, avec huit millions de personnes à cheval sur l'Irak et la Syrie.
- Des séquelles idéologiques sont-elles à craindre dans les zones libérées comme Mossoul ?
La grande difficulté maintenant, ça va être la question politique. Qu'est-ce qu'on fait avec tous ces Irakiens qui ont adhéré à l'idéologie de Daech, et qui continuent d'adhérer à une partie de son discours ? Mossoul est une grande ville sunnite et le pouvoir, à Bagdad, est chiite. Il y a une volonté de vengeance de la part de cette communauté qui traite de haut les sunnites, prenant d'une certaine manière sa revanche après les années Saddam Hussein, qui lui était sunnite. Est-ce que le pouvoir à Bagdad va être en mesure de proposer un pouvoir politique qui intègre la communauté sunnite, afin que celle-ci se sente reconnu dans les institutions et les instances gouvernementales ? Si ce n'est pas fait, les sunnites pourront toujours être sensibles aux sirènes de groupes qui se revendiquent comme tels. Pour l'instant, on ne voit pas l'amorce d'un discours politique qui pourrait les rassurer…
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- Raqqa, en Syrie, est-elle la prochaine étape de la reconquête ?
Je pense qu'il y aura également une victoire à Raqqa. Avec les moyens mis en œuvre par la coalition et les forces kurdes, qui sont sur le terrain, l'organisation devrait tomber de la même façon qu'à Mossoul. Mais là encore, la question qui va être posée est extrêmement grave : qui va contrôler la ville ? À qui remet-on les clefs ? La population sunnite de Raqqa n'a aucune envie de voir les Kurdes prendre le contrôle.
- Peut-on imaginer une reprise en main par le pourvoir de Bachar al-Assad ?
Vous avez en Syrie une guerre qui oppose le gouvernement de Bachar al-Assad avec tout un tas de groupes de différente nature, et qui veulent le pouvoir. Il n'y aura pas seulement le pouvoir de Damas qui va proposer quelque chose. D'ailleurs, la population de Raqqa est opposée au régime.
- Quel est l'investissement de la coalition internationale dans la lutte contre Daech ?
La coalition internationale n'est pas sur le terrain et ne veut pas y être. En revanche, sa couverture aérienne est absolument indispensable pour aider la progression des troupes au sol. C'est la combinaison de ces deux éléments, mais aussi la formation des forces locales par un certain nombre d'Américains et d'Occidentaux, qui permet la reprise. On peut imaginer que l'armée irakienne aurait pu reprendre Mossoul seule, mais ça aurait été beaucoup plus long et encore plus meurtrier.
- Quel est le rôle de la France ?
La France participe à cette coalition. D'un point de vue aérien, la France est partie prenante. Il y a aussi de la formation qui est assurée par certaines forces spéciales sur le terrain. Il y a une vrai implication donc, mais qui est bien moindre cependant que la participation américaine. Tout cela est à mettre en lien avec les attentats qui se sont déroulés sur le territoire français, et dont les ordres, pour beaucoup d'entre eux, étaient partis de Raqqa.
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- Que reste-t-il aujourd'hui de Daech ?
Il reste un certain nombre de combattants, mais on ne sait pas vraiment combien parce qu'ils ont subi des pertes absolument considérables. Il en reste sûrement encore quelques centaines, répartis entre Mossoul et Raqqa. Quant à Abou Bakr al-Baghdadi, certains disent que les Russes l'ont atteint lors d'un bombardement mais il est peut-être caché quelque part. Daech, c'est toujours, en termes de communication, la capacité de faire passer des messages et de continuer à être attractif. N'oublions pas aussi qu'ils ont la possibilité de se replier sur d'autres terrains : en Lybie, au Sinaï en Egypte, au Sahel en Afrique. On en voit même jusqu'en Indonésie. Sa capacité de nuisance, même amoindrie, continue donc d'exister.
- Des attentats comme représailles sont-ils à craindre ?
On ne peut pas l'exclure. Même si les ordres ne sont pas directement donnés par Abou Bakr al-Baghdadi, il peut toujours y avoir des personnes qui estiment qu'elles doivent continuer le combat. Il faut revenir à la question politique : pourquoi cette organisation a pu émerger, pourquoi elle a pu être soutenue et pourquoi elle attire encore des jeunes qui veulent partir au combat ? Tant que l'on n'aura pas réglé ces questions, rien ne sera réglé.