Stephan Ernst 1:22
  • Copié
Mathilde Durand
Alors qu'un néonazi est actuellement jugé pour le meurtre du préfet de la région de Kassel, l'Allemagne semble prendre conscience de la menace de l'extrême-droite. Pour Hélène Miard-Delacroix, professeure à la Sorbonne et spécialiste de l'Allemagne contemporaine, ce procès révèle "ce que beaucoup de gens en Allemagne ne veulent pas savoir". 
DÉCRYPTAGE

En Allemagne, le procès d’un néonazi, Stephan Ernst, se tient depuis une semaine. Il est accusé d’avoir abattu de sang-froid il y a un an le préfet de la région de Kassel, Walter Lübcke, ciblé pour sa politique de tolérance envers les réfugiés. Un assassinat qui sonne comme un électrochoc pour le pays qui semble avoir sous-estimé la menace de l’extrême droite. Pour Hélène Miard-Delacroix, professeure à la Sorbonne et spécialiste de l'Allemagne contemporaine, ce procès "conforte des choses que l’on sait déjà, que l’on sait trop et que beaucoup de gens en Allemagne ne veulent pas savoir."

Une réalité difficile à admettre 

"Le procès envoie sur les écrans de télévision le visage d’un criminel blond, allemand, qui est dans un réseau extrêmement large, qui a un passé néonazi. Et qui abîme l’image positive que l’extrême-droite allemande essaie de se donner depuis des années", poursuit la professeur au micro d'Europe 1. "Beaucoup de gens en Allemagne n'arrivaient à admettre cette réalité parce que la lutte contre l’extrême-droite fait partie de l'ADN de l'Allemagne démocratisée. L’Allemagne de l’Ouest a construit son identité sur : 'Nous ne sommes plus comme les nazis et donc il n’est pas possible que nous ayons en notre sein des enfants qui soient capables de devenir néonazis'". 

Selon la spécialiste, l'opinion a davantage scrutée la violence venue des groupes d'extrême-gauche tels que la Bande à Baader, ou la RAF (Fraction armée rouge), une organisation de guérilla urbaine opérant dans les années 1970-1990. "On arrivait pas à admettre qu'au sein même de la démocratie allemande il pouvait y avoir des gens qui en veulent vraiment, non seulement aux étrangers, mais qui en veulent aussi aux institutions démocratiques et à la classe politique dans son ensemble." 

Des réseaux influents, pourtant négligés

Outre ce procès, la société allemande a réalisé l'étendue de certains réseaux d'extrême-droite. Une cellule terroriste néonazie, qui projetait d'attaquer des mosquées, a récemment été démantelée. Quant aux renseignements militaires, il fait état d'une radicalisation préoccupante de nombreux soldats. Selon "Les gouvernements successifs ont minimisé la portée de ces réseaux. On a toujours considéré, en particulier depuis la réunification où on a vu apparaître en Allemagne de l'Est des groupes d'extrême-droite, que c'était quelques agités comme il y en a dans tous les pays", explique Hélène Miard-Delacroix. "C'est difficile maintenant d'encercler ces groupes car manifestement ils ont bien pénétré différents blocs de la société. Un certain nombre de problématiques actuelles, qui sont très inquiétantes pour la classe moyenne en particulier le multiculturalisme apportent de l'eau à leur moulin car ils ont l'impression d'être soutenue par des gens qui se disent en Allemagne 'citoyens inquiets'."

"Ce procès est important parce qu'il montre aux citoyens allemands jusqu'où peuvent aller ces réseaux et ces connexions, en particulier avec le parti d'extrême-droite Afd, qui essaie de se présenter comme un parti dit 'bourgeois' comme on dit en Allemagne, c'est-à-dire normal, alors qu'une bonne partie de ce parti a des liens très étroits avec les cercles néonazis", conclut Hélène Miard-Delacroix.