Donald Trump poursuit sa stratégie de désengagement à l’international. Quelques mois après s’être retiré de l’accord de Paris sur le climat, le président américain a décidé jeudi de quitter l’Unesco, accusant l’institution d’être "anti-israélienne". Donald Trump a poursuivi sa politique de rupture avec l'héritage de Barack Obama en "décertifiant" l'accord sur le nucléaire iranien, un texte arraché après d'intenses négociations par son prédécesseur. Mais jusqu’où peut aller le président républicain dans sa stratégie "isolationniste" ? Europe 1 a posé la question à Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis, maître de conférences à l’université Paris 2 et auteur du livre "Trumpland, portrait d’une Amérique divisée".
- Pourquoi Donald Trump remet-il en cause l'accord sur le nucléaire iranien ?
En faisant cela, Donald Trump déclenche un débat au Congrès, qui est divisé en deux entre les démocrates, fermement pour l'accord, et les républicains, qui sont divisés en deux camps. Le résultat, on le connaît : comme aucun n'aura de majorité suffisante, il ne se passera rien. Donald Trump fait de la politique intérieure, dans laquelle il embête son Congrès en montrant, dans son optique, qu'ils sont des "incapables". Il veut se donner le beau rôle en montrant que lui prend des décisions, et que quand il respecte les institutions cela ne fonctionne pas, alors que sa méthode plus directe fonctionnerait. En fait, il prépare les élections de 2018. Il va demander aux électeurs de voter pour un candidat qui lui donnera plus de pouvoir. Selon moi, cet accord iranien est un leurre qui permet de relancer sa politique intérieure.
- Le retrait des États-Unis de l’Unesco est-il symbolique de la politique internationale de Donald Trump ?
Oui, tout à fait. La politique étrangère de Donald Trump est une vraie rupture. Il parle à ses électeurs et il leur a promis dès le 20 janvier qu’il est le président des États-Unis, et pas du monde. Il leur a dit pendant toute la campagne que les États-Unis dépensaient beaucoup trop d’argent, et que les interventions extérieures n’avaient qu’un but : la protection des Américains. Tout le reste est une politique de retrait, comme on l’a vu le 1er juin avec le retrait des accords de Paris. Le retrait de l’Unesco s’inscrit dans la même ligne. Il y a également eu le retrait du TPP (l’accord transpacifique), et il y a des négociations très tendues sur l’accord de libre-échange américain (Alena). Donald Trump a dit que ça ne lui poserait aucun problème de se retirer de l’Alena. Pour lui, il n’y a aucune différence entre avant le retrait et après, si ce n’est qu’il économise de l’argent.
- Jusqu’où Donald Trump peut-il aller dans son "isolationnisme" ?
Si la Constitution donne quasiment les pleins pouvoirs à l’exécutif pour mener la politique étrangère, en réalité le Congrès à un vrai rôle. Hors, certains républicains et les démocrates sont encore dans une logique multilatéraliste, qui eux vivent très mal ce qui est en train de se passer. Mais si beaucoup ne s’y retrouvent pas, d’autres s’y retrouvent. Une tendance au nationalisme et à l’isolationnisme s’est développée au sein du parti républicain ces dernières années, notamment avec les "Tea Party". Donald Trump s’inscrit dans ce courant qui existait avant lui. Il est en train de récupérer cette politique dont même les plus conservateurs n’auraient jamais rêvé qu’elle puisse se mettre en place aussi rapidement.
" Donald Trump est retourné à une situation qui prévalait avant la Seconde Guerre mondiale "
- Quels risques cette politique comporte pour les intérêts américains ?
Cela dépend de ce qu’on entend par intérêts. La parole des États-Unis va s’amoindrir et sera moins écoutée, puisqu’ils se mettent sur la touche. Mais il ne faut pas se leurrer : on parle de la première puissance mondiale avec une force extraordinaire. Il est très difficile pour les autres pays d’ignorer les États-Unis. On ne voit donc pas trop d’effets négatifs de la politique de Donald Trump sur les intérêts économiques américains. Sa volonté est justement d’influencer sur cette géo-économie : toute sa démarche a pour but de limiter les relations étrangères à des échanges commerciaux et à un rapatriement des emplois aux États-Unis. Sauf que cette politique va à l’encontre de beaucoup d’éléments qui ont aidé la géo-économie américaine. Il a reculé sur le soft-power, coupant par exemple de 30% l’aide à l’étranger. Pour lui, tout ce qui va vers les sciences, la culture, le cinéma, qui ont beaucoup bénéficié des aides américaines, est de l’argent jeté par la fenêtre.
- Les organisations internationales peuvent-elles être décrédibilisées par ces retraits américains ?
Pour toutes les organisations internationales, la politique de Donald Trump constitue un problème. Concernant l’accord de Paris, très peu de villes et d’États se sont ligués contre lui. La puissance américaine, qui repose notamment sur la NASA et d’autres agences fédérales, ne sont de fait plus impliquées dans l’accord, alors que c’est par eux que passaient le contrôle et la mise en place de cet accord. Il y a des problèmes très forts, au-delà même des questions d’argent. Retirer les États-Unis de toutes ces organisations pose de réels problèmes qui n’avaient pas été anticipés du tout auparavant. En outre, la plus grande peur des grandes places diplomatiques est que Donald Trump soit suivi dans sa démarche. S’il y a un effet de contagion, on peut craindre le pire. S’il décidait de mettre en place des taxes aux frontières, comme il l’a promis pendant sa campagne électorale, il faudrait qu’il quitte l’OMC. S’il quitte l’OMC et met en place de telles taxes, beaucoup de pays feraient la même chose et déclencheraient du même coup une crise mondiale.
- Cet isolement américain sur la scène internationale est-il une première ?
Non. Donald Trump est retourné à une situation qui prévalait avant la Seconde Guerre mondiale, avec une Amérique isolationniste. Les Américains s’estiment dans leur droit : ils pensent qu’ils ne vont embêter personne en adoptant une telle politique, mais en retour ils ne veulent pas qu’on les embête non plus. Cette ligne fait fi de tout ce qui s’est construit depuis 1945, avec le désir de maintenir la paix en maintenant un dialogue multilatéral permanent. Donald Trump répond en affirmant qu’il parle seulement différemment, qu’au lieu de faire un contrat multilatéral il fera plusieurs contrats binationaux. Pour lui, sa politique est le fruit de l’histoire américaine.