Au Royaume-Uni, on les appelle les "spider letters" (lettres araignées, ndlr) en référence à l'écriture ramassée et quasi-illisible de l'héritier de la couronne, le Prince Charles. Ces missives, une vingtaine en tout, ont finalement été publiées sur le site du gouvernement britannique mercredi, au terme d'une longue bataille juridique entre le 10, Downing Street et le journal The Guardian.
Le gouvernement refuse de les publier à l'origine.The Guardian s'était procuré des copies de ces lettres, écrites de la main du Prince et adressées à différents membres du gouvernement travailliste en place entre 2004 et 2005. Si elles n'offrent aucune révélation d'ampleur sur le fond, c'est sur la forme que l'histoire se révélait gênante pour l'exécutif comme pour l'héritier de la Couronne. En effet, la pratique constitutionnelle britannique exige que la famille royale reste neutre et n'interfère pas dans la sphère politique. Si le Prince Charles a maintes fois assuré que cette correspondance s'était établie à titre privée, le gouvernement avait à l'époque refusé la publication de ces lettres, demandée par The Guardian, invoquant une mesure d'exception incluse dans la loi sur la liberté d'information. Le procureur avait alors empêché leur publication pour ne pas "porter préjudice au Prince Charles dans sa préparation au règne".
Une décennie de bataille juridique. S'en est suivi une décennie de procédure devant les tribunaux, jusqu'à arriver devant la plus haute autorité judiciaire, la Cour Suprême, en mars dernier. Les Sages ont donc donné raison au Guardian et forcé le gouvernement à publier sa correspondance avec le Prince. A la lecture de ces lettres, disponibles en intégralité sur le site de l'exécutif, on découvre la relation épistolaire fournie et régulière qu'avait lié l'héritier de la monarchie britannique avec différents ministres travaillistes de l'époque.
Le Prince Charles défend les albatros et les vaches. Le Prince Charles, ardent défenseur de l'environnement, s'est donc fendu de lettres sensibilisant à la condition de plusieurs espèces animales : il s'est fait tour à tour avocat des albatros auprès du ministre de la Pêche, demandant à ce dernier plus de sévérité avec la pêche sauvage, qui contribue à l'extinction du volatile et avocat des éleveurs de vaches frappés par la tuberculeuse bovine auprès du Premier ministre de l'époque, Tony Blair lui-même.
Mais il défend aussi les intérêts de ses associations. Outre ces élans écologistes, le Prince Charles ne se fait pas non plus prier pour défendre les intérêts des nombreuses associations et autres fondations dont il est le créateur. Il offre par exemple au secrétaire d'Etat chargé de l'Irlande du Nord de débloquer des fonds pour rénover l'un des bâtiments historiques les plus importants du pays, à l'époque laissé à l'abandon. Des offres généreuses, assorties de demandes plus intéressées, comme cette lettre demandant à la secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie Patricia Hewitt si elle pouvait faire un don pour In Kind Direct, l'une des fondations princières. La membre du gouvernement répond qu'elle est incapable de répondre favorablement à cette demande, mais va "demander à ses collègues ministres et aux institutions publiques si elles sont intéressées". Voilà qui ne va pas contribuer à redonner au Prince Charles, déjà empêtré dans de sombres affaires fiscales, un profil de monarque irréprochable.