Lundi matin, c'est la rentrée pour le gouvernement, mais pas que. Au Quai d'Orsay aussi, on se prépare à attaquer une nouvelle année. C'est un rituel depuis 25 ans : ceux qui représentent la France au bout du monde, ambassadeurs et consuls généraux, abandonnent leurs postes et rallient Paris.
Ateliers, discours et speed dating. Ils passeront toute la semaine ensemble. On se met au courant, il y a des ateliers, des tas de discours (le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, évidemment, le ministre allemand des Affaires étrangères, c’est obligatoire, c'est l'Europe, le Premier ministre, qui veut aussi parler du monde), on fait la tournée des bureaux, ça chahute dans les bus. Lundi après-midi, ce sera "speed dating" avec des centaines de patrons de PME. C'est moderne et donne l'occasion au diplomate de prouver qu'il parle des langues exotiques, mais aussi le franglais. Pas bégueule, celui-ci est aussi un fantassin de l'export, prêt à s'occuper du Commerce extérieur et du tourisme, à se salir les mains. Enfin, à Paris, cette semaine, le diplomate croise des journalistes, exercice toujours périlleux. Il va aussi pleurer à Bercy, ce qui est tout aussi périlleux et parfaitement inutile.
Cocktail et discours-fresque. Ambassadeurs et consuls généraux ont bâti leur légende sur leur art du complot et de la fête. Le clou de la semaine ? Un cocktail à l'Élysée, mardi. Le président leur délivrera une feuille de route, un grand discours plus semblable à une fresque sur l'ordre et les désordres de l'univers, qu'ils écouteront d'autant plus attentivement qu'il a été écrit par les fonctionnaires les plus haut perchés du Quai. Chaque mot compte. La sémantique, c’est la matière première de la diplomatie. Pour être ambassadeur et le rester, il faut être dans la ligne. Qui veut voyager loin et longtemps ménage sa superstructure.
Avec un agenda pareil, inutile de dire que les ambassadeurs sont stressés. C'est pour cela qu'ils mangent du chocolat, des rochers au chocolat. On compte une centaine d’ambassadeurs sur l'étagère, qui se morfondent en attendant une affectation. Un record absolu, dû en partie au copinage politique. Les conseillers des ministres des derniers gouvernements socialistes se sont en effet largement servis au niveau des postes.
Des crédits en baisse. Mais l'important est ailleurs. C’est le laminage constant des crédits. Les diplomates sont des gens trop bien élevés, pas du genre à claquer la porte comme le général Pierre de Villiers il y a un mois. Ils se laissent tondre et restent au garde-à-vous. Et le paradoxe, c'est qu'ils ont eu à leur tête depuis dix ans trois anciens premiers ministres : Alain Juppé, Laurent Fabius et Jean-Marc Ayrault. Comme si les Affaires Etrangères servaient de maison de retraite aux dignitaires de la République, avec un palais au bord de Seine, un jet à Villacoublay, un château pour le week-end à la Celle Saint-Cloud. Alors que pendant ce temps, les contractuels dégagent au bout de quatre ans, dégoûtés, tandis que les énarques filent à Bercy où ils sont payés deux ou trois fois mieux.
Les militaires pleurent parce qu'ils ont trois fois rien pour faire la guerre. Les diplomates, eux, ont moins que rien pour gagner la paix. Et c’est aussi pour cela que le boulot n'est jamais fini, en Libye, comme en Syrie, en Irak ou au Mali, en Côte d'Ivoire ou en Centrafrique.