"Gouvernement totalitaire", "état d'urgence", "radicalisme et désobéissance"… Entre la Catalogne et le pouvoir central espagnol, les mots sont devenus de plus en plus violents ces derniers jours. Mercredi, ces affrontements ont trouvé une incarnation concrète avec la répression de manifestations pro-indépendance, à dix jours d'un référendum voulu par Barcelone sur l'autodétermination de la région. Une consultation considérée comme illégale par le gouvernement espagnol, qui tente par tous les moyens d'interdire sa tenue. Le correspondant d'Europe 1 en Espagne, Henry de Laguérie, nous aide à y voir plus clair.
Quatorze interpellations, 40 perquisitions. Le camp des indépendantistes commence à douter : le référendum est en danger, pour plusieurs raisons. D'abord, l'arrestation de 14 personnes liées à l'organisation de la consultation du 1er octobre est un coup porté au govern catalan, le gouvernement local. Son secrétaire d'Etat à l'Economie, Josep María Jové, fait notamment partie des personnes interpellées. Une quarantaine de perquisitions ont également été menées dans plusieurs ministères régionaux.
"Logistiquement, on les a mis à terre". Des imprimeries ont aussi été visitées. Résultat de l'opération : les autorités ont trouvé environ 10 millions de bulletins de vote "dans une imprimerie située à 50 kilomètres de Barcelone. Il semblerait que ce soit la totalité de ce qui était prévu", explique Henry de Laguérie. Sans compter que les autorités de Madrid ont réussi à mettre la main sur les lettres destinées aux assesseurs car, en Espagne, on est choisi pour tenir un bureau de vote. "Logistiquement, on les a mis à terre", s'est ainsi réjoui un membre de la Guardia Civil auprès d'Europe 1. "Il est évident que les règles du jeu ont été altérées. Nous ne sommes pas en mesure de voter comme d'habitude", a même concédé jeudi à la télévision catalane le vice-président du gouvernement catalan, Oriol Junqueras.
" Il y a un anti-catalanisme dans le reste de l'Espagne, mais Podemos et les jeunes sont favorables à un référendum "
Bataille de l'image avant le scrutin. Face à la force, le gouvernement de Barcelone veut gagner la bataille de l'image. Journalistes étrangers choyés par les indépendantistes, déclaration du président catalan en anglais et en français… "La Catalogne tente de faire parler de ce référendum à l'international. Elle veut aussi que Bruxelles sorte de sa réserve, ce qui serait pour eux une issue", analyse Henry de Laguérie. Autre atout des partisans d'un vote malgré la répression des autorités : ils disposent d'un soutien populaire de plus en plus visible. "Il y a un anti-catalanisme dans le reste de l'Espagne, mais Podemos et les jeunes sont favorables à un référendum. Mercredi, il y a même eu une manifestation pro-référendum… à Madrid", constate notre journaliste.
Détermination renforcée ? En Catalogne, la journée de mercredi va-t-elle mobiliser en faveur d'un référendum pour l'indépendance ? "Le dernier sondage du mois d'août faisait état d'une avance pour le maintien dans le royaume. Mais des journées comme hier peuvent changer la donne dans l'opinion", explique Henry de Laguérie. La détermination des organisateurs pourrait elle-même se renforcer à l'approche de la date du scrutin. Pour le catalan Oriol Junqueras, pas de doute : "Je suis convaincu qu'une majorité de citoyens de ce pays (la Catalogne) veulent voter". Il s'est engagé à tout faire pour que le scrutin ait bien lieu le 1er octobre.
Deux scénarios envisageables. Et si, malgré leur détermination, le référendum des indépendantistes n'avait pas lieu ? "Ça ne veut pas dire que le problème va disparaître", tempère immédiatement Henry de Laguérie, qui identifie deux scénarios possibles après le 1er octobre : "Soit les plus radicaux parviennent à prendre le dessus en faisant une déclaration unilatérale d'indépendance. Ou alors le gouvernement catalan convoque des élections régionales anticipées et le transforme de facto en un référendum pour ou contre l'indépendance. Le pouvoir central ne pourra cette fois pas l'interdire, mais cela ne changerait pas la donne d'un point de vue législatif. La vraie inquiétude, c'est de savoir comment chacun va faire pour se reparler après le 1er octobre." Référendum ou pas, la rupture est déjà actée dans les faits.