Menace contre menace. Tandis que Pyongyang poursuit son développement nucléaire et balistique, Séoul, Pékin et Washington durcissent le ton. Lundi, la Corée du Nord a tiré quatre missiles, dont trois ont atterri dans les eaux japonaises. À quoi peut-on s'attendre dans les semaines, les mois prochains ? Éléments de réponse avec Pierre Rigoulot, auteur de Corée du Nord, Etat voyou.
Avec ces nouveaux tirs de missiles, quel message cherche à faire passer la Corée du Nord ?
Son projet, ce n’est pas tant de faire passer un message que de faire progresser son niveau technologique balistique. Les Nord-Coréens ont réellement l’intention de se doter d’une force de dissuasion, et pour cela, il leur faut non seulement une arme nucléaire, mais aussi des missiles capables de les transporter, une fois miniaturisés. Ils poursuivent ce projet depuis plusieurs années maintenant. On peut quand même remarquer que ce nouveau lancement a eu lieu au moment où sont annoncées des manœuvres américano-sud-coréennes. Ils font toujours beaucoup de bruits lorsque ces manœuvres se produisent. Les formules employées sont toujours terrifiantes (Pyongyang avait notamment promis à Séoul, en mars 2016, "un océan de flammes et de cendres", ndlr). Tout sacrifier pour obtenir une force de dissuasion, c'est l'objectif obsédant des Nord-Coréens.
La Corée du Nord avait menacé de représailles "sans merci" après les exercices conjoints opérés par Séoul et Washington. Jusqu'où peut aller cette escalade de tensions ?
À chaque fois que les Américains et les Sud-Coréens organisent des manœuvres, les protestations sont nombreuses et prennent la forme de menaces verbales extrêmement violentes. Pour l’instant, on en est resté là. Les prochains manœuvres seront aussi accompagnées de menaces terrifiantes et particulièrement. C'est presque un rituel, quelque chose sur lequel on peut parier.
Des missiles sont déjà capables d’atteindre les bases américaines. Tous les spécialistes observent que les Nord-Coréens font des progrès sérieux. De là à dire qu’ils seront rapidement en mesure de frapper le continent américain, non. Mais d’ici quelques années, certainement.
Toutefois, il peut se passer beaucoup de choses entre-temps. Nous verrons comment le projet de bouclier anti-missile américain va se développer. D'ici là, il peut aussi y avoir, à la fois sur le plan diplomatique et sur la politique intérieure, beaucoup de changements en Corée du Nord. Je pense que la constitution d'un arsenal nucléaire ne va pas dicter l'avenir du pays. Pour rappel, l'Union soviétique s’est effondrée malgré des centaines et des centaines de missiles et de bombes atomiques.
Pyongyang est également soupçonné d'avoir fait assassiner l'opposant Kim Jong-Nam, demi-frère de Kim Jong-Un. Peut-on parler d'une stratégie globale visant à terroriser ?
On est dans un régime totalitaire qui a toujours intérêt à faire monter la pression, qui mobilise l'opinion publique avec l’idée que le pays est menacé. Concernant Kim Jong-Nam, la population disait qu'il était protégé par les Chinois. De plus, il faisait savoir en interviews le peu de bien qu’il pensait de son demi-frère. D'une certaine façon, la Corée du Nord signifie aux adversaires du régime qu'elle peut les supprimer. De la même manière, elle construit une stratégie nucléaire pour empêcher l’autre de l'attaquer. C'est une politique guerrière.
Les sanctions internationales ont-elles des effets sur la détermination nord-coréenne ?
Les sanctions, quelles qu’elles soient, n’arrêteront pas la détermination du gouvernement nord-coréen. La seule chose qui pourrait les faire calmer le jeu, c’est si la Chine interrompait ses livraisons de pétrole. La Corée du Nord sait que la Chine a la main sur le robinet. Or, elle sait aussi que les Chinois ne peuvent pas aller très loin dans la menace, car ils refusent que la Corée du Nord s’effondre. En effet, elle serait alors sous contrôle de la Corée du Sud, alliée des Américains, ce qui n'est pas une perspective très enthousiasmante pour la Chine.