Turquie : ce que la reconversion polémique de Sainte-Sophie en mosquée révèle de la politique d'Erdogan

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Jean-Sébastien Soldaïni, édité par Romain David , modifié à

Construite au VIème siècle et transformée en musée dans les années 1930, la basilique Sainte-Sophie, sans doute le monument le plus célèbre d'Istanbul, est redevenue une mosquée. Avec cette transformation polémique, le président Recep Tayyip Erdoğan envoie un message fort aux Russes et tente d'imposer son leadership au monde sunnite.

La volonté des autorités turques était un secret de polichinelle, leur décision est désormais officielle : la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul n'est plus un musée, elle est officiellement redevenue une mosquée. Le président Recep Tayyip Erdoğan a autorisé le retour des prières musulmanes à l'intérieur de cette enceinte construite sous l'empereur Justinien au VIème siècle, et qui avait déjà servie de mosquée du milieu du XVème siècle jusque dans les années 1930. Par ce geste, le chef de l’Etat turc s'adresse à ses électeurs mais envoie aussi un message au-delà des frontières.

Pourquoi la reconversion de Sainte-Sophie est-elle d’abord un geste politique ?

Implicitement, Recep Tayyip Erdoğan s’adresse d’abord à la Russie. Car Ankara et Moscou s'opposent dans une lutte d'influence au Moyen-Orient et dans les Balkans. Or, la basilique Sainte-Sophie est considérée comme sacrée par les orthodoxes. La rendre au culte musulman est une manière pour le président turc de marcher sur les plates-bandes du patriarche de Moscou et indirectement du Kremlin.

Quel message Erdogan adresse-t-il aux musulmans ?

Dans le même temps, Recep Tayyip Erdoğan en profite pour affirmer sa stature aux yeux du monde musulman. Ce n'est un secret pour personne : il se voit en leader du monde sunnite. L'Islam politique est là un outil pour redorer son image dans cette frange du monde musulman. Mais comme à son habitude, le président turc ne perd jamais de vue les gains qu'il peut en tirer en interne. Sainte-Sophie, en plus d'être la vitrine du pays, est au cœur de la ville d'Istanbul, véritable capitale économique de la Turquie. Si la ville a échappé au parti de Recep Tayyip Erdoğan lors des dernières municipales, il espère ainsi ramener à lui les électeurs de la ville. Au risque, toutefois, de perdre quelques visiteurs étrangers même si le lieu reste ouvert aux non-musulmans, et surtout l'aura internationale du lieu.

Faut-il s’attendre à une réponse internationale ?

Washington a fait part samedi de sa déception face à cette conversion. La France a également déploré cette transformation. Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères a estimé que faire de Sainte-Sophie une mosquée "remettait en cause l'un des actes les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque". De son côté, l'UNESCO pourrait revoir le statut de l'édifice jusque-là inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.