Vendredi soir, une partie de l'armée turque a tenté de s'emparer du pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, l'omnipotent président à la tête du pays depuis 2002. Télévision publique sous contrôle, instauration du couvre-feu et annonce d'un changement de main du pouvoir, tous les ingrédients traditionnels du putsch y étaient. Si l’événement est de taille, tant la situation politique en Turquie semble se dégrader depuis plusieurs années maintenant, entre la contestation populaire de Gezi, les attentats perpétrés par l'Etat islamique et l'embrasement du conflit kurde, ce n'est pas la première fois que le pays connaît une tentative de putsch dans son histoire récente. Retour sur cinquante-six années de vie politique turque, marquées par le rôle déterminant d'une armée à l'héritage kémaliste encore bien présent.
- 1960, ni sang, ni larmes
Le 2 mai, un coup d'Etat est mené pratiquement sans effusion de sang par des officiers et cadets des écoles de guerre d'Istanbul et Ankara. Le lendemain, le chef de l'armée de terre, le général Cemal Gursel, réclame des réformes politiques et démissionne de ses fonctions quand ses exigences sont rejetées. Les putschistes établissent un comité d'union nationale de 38 membres avec Gursel à sa tête. Sur 601 personnes jugées par les militaires, 464 sont reconnues coupables. Trois anciens ministres, dont le Premier ministre Adnan Menderes, sont exécutés et douze autres, dont le président Celal Bayar, voient leurs condamnations à mort commuées en peines de prison à vie.
- 1971, coup d'Etat technocratique
L'armée exige du gouvernement qu'il rétablisse l'ordre après des mois de grèves et d'affrontements dans les rues entre l'extrême gauche et l'extrême droite. Quelques mois plus tard, le Premier ministre Suleyman Demirel démissionne et une coalition d'hommes politiques conservateurs et de technocrates se charge de rétablir l'ordre sous la surveillance des militaires. La loi martiale est établie dans plusieurs provinces et ne sera pas complètement levée avant septembre 1973.
- 1980, l'armée profite des remous de la gauche
Le 12 septembre 1980, le haut commandement de l'armée dirigé par le général Kenan Evren mène un coup d'Etat après de nouveaux affrontements de rue entre gauchistes et nationalistes. De hauts responsables politiques sont arrêtés. Parlement, partis politiques et syndicats sont dissous. Un Conseil de sécurité nationale de cinq membres prend le contrôle du pays, suspend la Constitution et met en oeuvre une Constitution provisoire qui donne des pouvoirs quasi illimités aux militaires.
- 1997, au nom d'Atatürk
Le 18 juin 1997, le Premier ministre Necmettin Erbakan, en qui l'opposition voit une menace contre la laïcité, démissionne sous la pression de l'armée, des milieux d'affaires, de la justice et d'une partie de la classe politique. Les généraux s'estiment en droit d'être intervenus au nom de la défense de l'Etat laïque fondé par Mustafa Kemal Atatürk.
- 2007, Erdogan menacé, acte I
Le nom d'Ergenekon, un groupe clandestin, apparaît pour la première fois avec la découverte d'une cache d'explosifs lors d'une opération de police à Istanbul. Des centaines de personnes se retrouveront pas la suite jugées pour tentative de coup d'Etat contre Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, et 275 officiers, journalistes, avocats et autres professions seront reconnus coupables. Les verdicts ont tous été annulés cette année par une cour d'appel qui a déclaré qu'aucune preuve de l'existence du réseau Ergenekon n'avait été apportée. Erdogan, qui est devenu président en 2014, a dans un premier temps soutenu les poursuites mais par la suite accusé des partisans du prédicateur Fethullah Gülen, ancien allié devenu sa bête noire, d'avoir monté de toutes pièces cette conspiration.
- 2010, Erdogan menacé, acte II
Un journal dévoile un complot laïque baptisé "Masse" qui remonterait à 2003, visant à créer le chaos social afin de renverser le gouvernement Erdogan. En 2012, un tribunal a condamné à des peines d'emprisonnement 300 des 365 prévenus. Deux ans plus tard, la plupart des condamnés ont été libérés après que la Cour constitutionnelle a estimé que leurs droits avaient été violés. A nouveau, les partisans de Gülen ont été accusés d'avoir fabriqué cette affaire, ce qu'ils démentent, tout comme ils nient être à l'origine de la tentative de putsch de ce vendredi.