Le mécène turc Osman Kavala, détenu depuis près de quatre ans et demi sans jugement, restera en prison, a décidé lundi un tribunal d'Istanbul en dépit des menaces de sanctions du Conseil de l'Europe pesant sur Ankara. Accusé de "tentative de renversement" du gouvernement, l'éditeur, qui risque la prison à vie, comparaîtra de nouveau le 22 avril, a ordonné le tribunal. Osman Kavala, devenu la bête noire du régime de Recep Tayyip Erdogan, est accusé d'avoir financé les manifestations anti-gouvernementales de 2013 et pris part au complot qui a abouti à la tentative de coup d'État de juillet 2016, ainsi que d'espionnage, des charges qu'il a toujours niées.
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Le philanthrope s'est présenté lundi par visioconférence devant un panel de trois juges, qualifiant son incarcération de "totalement infondée". "L'acte d'accusation a été rédigé avec une idéologie politique motivée. Il n'y a rien de légal là-dedans", a lancé devant la cour son avocat Tolga Aytore, demandant sa remise en liberté. La détention d'Osman Kavala, âgé de 64 ans et figure majeure de la société civile turque, enfermé depuis fin 2017 dans le grand complexe pénitentiaire de Silivri, en lisière d'Istanbul, défie la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui réclame sa remise en liberté depuis 2019.
Crise diplomatique entre la Turquie et l'Occident
Plusieurs diplomates européens, français, allemand et britannique notamment, et américain étaient présents lundi à l'audience. Après une ultime apparition vidéo devant la cour en octobre depuis sa prison, Osman Kavala avait décidé de ne plus se présenter aux audiences, affirmant avoir perdu toute foi en la justice turque. Mais le tribunal d'Istanbul avait requis sa comparution lundi. Son incarcération avait déclenché à l'automne une crise diplomatique entre Ankara et une dizaine d'ambassadeurs occidentaux, dont celui des États-Unis, qui avaient été menacés d'expulsion pour avoir réclamé sa libération.
Dans son dernier réquisitoire début mars, un des procureurs avait demandé que Osman Kavala, surnommé le "milliardaire rouge" par ses détracteurs, soit déclaré coupable de "tentative de renversement" du gouvernement du président Erdogan - ce qui lui ferait risquer la prison à vie. L'intéressé a toujours dénoncé des accusations politiques. Il est jugé avec sept coaccusés, auxquels il est également reproché leur participation aux manifestations de 2013. En février, la Cour avait en revanche séparé leur dossier de celui de plusieurs dizaines de supporteurs de football accusés des mêmes charges.
"À partir de rien"
L'affaire Kavala est devenue avec le temps le symbole de la répression du régime contre ses opposants. "Bien que n'ayant commis aucun des crimes internationalement reconnus comme tels, il reste en détention arbitraire et sans preuves tangibles contre lui", a rappelé Nils Muiznieks, directeur pour l'Europe d'Amnesty International, dans un communiqué publié à la veille de cette nouvelle audience. "Depuis 2017, les autorités tentent de le poursuivre à partir de rien, mais elles ont régulièrement échoué", a-t-il ajouté. "Au contraire, chaque nouveau rebond dans ces poursuites politiquement motivées ont mis en lumière la vacuité du système judiciaire turc."
En février, la CEDH a lancé une "procédure en manquement" contre la Turquie, une décision rarissime qui pourrait déboucher sur des sanctions contre Ankara si Osman Kavala n'était pas rapidement libéré. C'est seulement la deuxième fois dans son histoire que le Conseil de l'Europe, une organisation paneuropéenne de défense des droits de l'homme qui siège à Strasbourg (France), engage une telle procédure contre l'un de ses 47 États membres.