Avait-on besoin de voir ces images ? C’est la première question que nous nous sommes posés après avoir visionné la vidéo d’un petit Yéménite de 6 ans (peut-être 10, on ne sait pas), qui implore les médecins de ne pas l’enterrer. L’enfant s’appelle Farid Shawky, et a été touché par des éclats lors d’un bombardement dans la ville de Taiz, dans le Sud-Ouest du Yémen, le 13 octobre dernier.
"J’étais dans la rue quand j’ai entendu le missile tomber. J’ai couru et j’ai vu que l’obus était tombé sur une maison", raconte le photographe Ahmed Basha interrogé par BBC Trending. "Là j’ai vu que des enfants étaient blessés et qu’on les emmenait en moto à l’hôpital, alors je les ai suivis", ajoute-t-il.
Une fois à l’hôpital le photographe filme le petit garçon autour duquel s’affairent plusieurs médecins. "Ne m’enterrez pas, ne m’enterrez pas", semble murmurer l’enfant. "J’étais tellement ému que j’ai posté la vidéo de Farid sur ma page Facebook", explique ensuite le photographe à la BBC. Cette vidéo a fait le tour du monde et a été reprise dans de nombreux médias.
Mais que nous apprend-elle ? Pierre-Jean Amar, photographe professionnel et historien de la photo, la décrypte pour Europe1.fr.
Un buzz malsain. Quelques jours après la publication de la vidéo, Farid est mort. La vidéo est alors devenue virale atteignant 500.000 vues sur le site de la chaîne qatarie d’information qatarie Al Jazeera. Un buzz malsain, pour le professionnel de l'image Pierre-jean Amar. "C’est tellement facile de faire pleurer dans les chaumières en utilisant la mort d’un enfant", dénonce le photographe, qui s’interroge d’ailleurs sur l’opportunité de surfer sur l’émotion qu’avait suscité le cliché du petit Aylan, ce petit garçon retrouvé mort sur une plage en Turquie et dont le cliché a fait le tour du monde.
Mais "peu importe le but recherché", prévient Pierre-jean Amar, il faut se poser une question "que nous dit cette vidéo d’un point de vue journalistique ? Rien ! Elle est vide d’information", observe-t-il, "là où dans la photo d’Aylan, par exemple, il y avait le costume que portait l’humanitaire qui le soulevait, ce qui donnait une information".
Ni lieu, ni date. En effet, cette vidéo du jeune Farid n’est contextualisée que par le texte qui l’accompagne sur Facebook. Rien, dans l’image, ne nous dit quand et à quel endroit elle a été tournée. "C’est le degré zéro du journalisme", poursuit le spécialiste.
"On ne sait pas dans quel hôpital elle a été tournée. Cela pourrait être n’importe où dans le monde !", ajoute-t-il, précisant que quand on est un professionnel de l’image, "on se demande toujours ce qu’on va mettre dans son image pour que ceux qui regardent comprennent où on est et de quoi il s’agit".
Pour le spécialiste, le seul "intérêt", pour le photographe qui a fait cette vidéo, était d’attirer les regards du monde sur un conflit largement oublié par les médias : la guerre civile au Yémen. Il est vrai que le conflit, qui déchire le pays depuis 2011, a été peu couvert par les médias en comparaison à celui qui touche la Syrie. Récemment, Amnesty International dénonçait dans un rapport "une guerre oubliée".