42 minutes aux côtés des enquêteurs de la Gendarmerie Nationale, 52 minutes d'une plongée sous l'Occupation ou encore 26 minutes avec des habitants d'un quartier fictif de Marseille, chaque jour dans l'Hexagone, les séries détendent ou passionnent des milliers de spectateurs. Mais qui décide des histoires destinées au petit écran ? Qui les écrit et comment s'y prennent-ils ? Europe 1 a posé la question à des scénaristes.
Frédéric Krivine est scénariste de télévision, et l'auteur de nombreux téléfilms et de séries, dont Nom de Code : DP, Un village français et PJ.
Héctor Cabello Reyes est scénariste pour le cinéma, mais il a aussi travaillé sur Plus belle la vie et Un gars une fille.
Dominique Lancelot est la créatrice et productrice de la série télévisée policière Section de recherches.
Qui a la toute première idée d'un scénario ? Pour une série validée, "il y en a beaucoup qui sont refusées", précise Héctor Cabello Reyes. "On est face à une matière mouvante, le public, l'époque, l'air du temps… Parfois, l'idée est bonne, mais elle arrive au mauvais moment."
"Il n'existe pas de statistiques mais grosso modo, la moitié des projets sont initiés par le scénariste, qui en fait la proposition au producteur ou directement à la chaîne", explique Frédéric Krivine. "Dans l'autre moitié des cas, c'est le producteur qui a une idée plus ou moins élaborée, ou qui pense à un comédien pour lequel il aimerait créer une série. Dans des cas encore plus rares, c'est la chaîne qui est à l'initiative. Elle veut par exemple une série qui se déroule dans un commissariat."
Comment proposer le projet à la chaîne ? Une fois l'idée en tête, il faut la soumettre à la chaîne. En France, les chaînes de télévision apportent 80 % du financement des séries. Elles ont donc plus que leur mot à dire à ce stade. "Normalement, on a un partenaire, le producteur, et un client, la chaîne", raconte Frédéric Krivine. "Dans le cas de la télévision, contrairement au cinéma, on développe des projets presque exclusivement sur commande. Il y a trois étapes : d'abord, on arrive avec un certain nombre de pages, 2,3,5 ou 10 pages, c'est variable. On y développe l'histoire, le ton, l'ambiance, tout dépend de ce qu'on veut mettre en avant. Si le projet passe cette étape, si ça intéresse, on propose un synopsis, de 5 ou 6 pages en général, et puis un scénario, après un processus qui comprend pas mal d'allers-retours. Aux USA, il existe des règles d'écriture très précises. Si elles ne sont pas respectées, on ne lit même pas votre scénario. En France, c'est plus souple. Au début par exemple, il n'y a pas de règle d'écriture."
Comment se lance-t-on dans l'écriture ? Une fois le projet validé, de la toute première idée, encore un peu floue, à la mise en mots, il faut bien partir de quelque chose. Parfois c'est un climat, ou un personnage, qui inspirent. "C'est très variable, confie Frédéric Krivine. Pour Nom de code : DP sur France 2, une mini-série de trois heures, diffusée en 2005, qui raconte l'histoire d'une infiltration, "je suis parti de deux idées maîtresses", précise le scénariste. "D'une part du fait que tout le monde était alors obsédé par le 11 septembre et le terrorisme. Et d'autre part, de l'idée d'un personnage, d'une femme qui façonne un homme comme objet de désir. C'est à partir de ces deux éléments que j'ai écrit la suite", raconte-t-il. "PJ, le point de départ c'est plutôt que j'en avais marre des séries policières qu'on voyait", explique Frédéric Krivine. "Je trouvais que de nombreux sujets de la société française étaient laissés de côté, ou plutôt, c'était la manière d'en parler qui me gênait. J'ai voulu parler de l'échec, à ma manière."
L'enquête de terrain est-elle nécessaire ? Les scénaristes connaissent l'utilité du réel pour apporter du crédit à leurs fictions. "En ce qui me concerne, je considère que le rapport au réel est fondamental", explique Frédéric Krivine. Pour PJ, le scénariste a ainsi passé "un an dans des commissariats et différents services de police". Même méthode pour Nom de code : DP. Il a passé beaucoup de temps à interviewer des policiers des RG, ou du contre-espionnage français (DGSI) etc. Pour Un village français, l'auteur de la série a vu "une centaine de témoins", un historien de la période et est allé jusqu'à lire "un journal de 1941, tous les jours pendant 1 an".
Quant à la créatrice de Section de recherches, elle est "allée se documenter auprès de la Section de recherche de Versailles", où elle a réalisé de nombreux entretiens avec les équipes. Elle a tout abordé, leur a demandé pourquoi ils avaient eu envie de devenir gendarmes, ou encore récolté des informations précises sur leurs méthodes de travail. "Je me suis beaucoup documentée", explique-t-elle. Le plus important pour les scénaristes, c'est de "créer des rebondissements et de capter l'attention du spectateur. La réalité va souvent beaucoup plus loin que tout ce qu'on peut imaginer. Les scénaristes anglo-saxons sont souvent très documentés. Au Etats-Unis, il arrive souvent que les séries polars soient écrites par des avocats. En France, c'est encore balbutiant."
Comment élabore-t-on le scénario ? Dominique Lancelot construit toujours ses scénarios "en suivant la méthode des enquêteurs", révèle-t-elle. "Sur une scène de crime, ils relèvent tous les indices possibles, et élaborent plusieurs scénarios, des pistes qu'ils vont ensuite explorer pour les confirmer, ou non." La scénariste avance de la même manière : elle part d'une situation et remonte la piste, en imaginant ce qui a pu mener au crime. "Evidemment, il y a toujours un meurtre au départ, mais je m'arrange toujours pour y intégrer quelque chose de mystérieux. Ça va me permettre de remonter le fil, de construire la vie des victimes, et de pénétrer dans un microcosme humain passionnant." L'écriture du scénario est rarement linéaire. "Le changement de direction est le quotidien des scénaristes de télévision", confie Frédéric Krivine.
Comment sait-on qu'une série est réussie ? "C'est un peu comme pour un bébé qui va naître", explique Héctor Cabello Reyes. "On ne peut pas savoir quelle tête il aura. Comme un bébé, on l'a fait avec amour, avec application, et on sait qu'on va l'aimer. Quand on écrit une série, on vit avec ses personnages pendant des mois et des mois. Mais notre bébé réussira-t-il dans la vie ? Les gens l'aimeront-ils ? Par définition, toute question concernant le futur est condamnée à être contredite par la réalité. La seule chose qu'on sache, c'est ce qu'on a fait. Si on a travaillé, si on y croit sincèrement, et si cela rencontre l'enthousiasme des personnes qui connaissent le projet. Après, le projet va vivre sa vie, et celle-ci, personne ne la connaît à l'avance."
La fin, on la connaît au début ? Difficile de dégager une recette d'écriture. Mais est-ce qu'un scénariste sait toujours précisément où il va ? "Là encore, c'est variable. Il faut faire la différence entre les feuilletons, comme Un village français, Plus belle la vie etc, et les séries "non-feuilletonnantes" (dans le jargon) comme Docteur House, Navarro, dont on ne connaît pas d'avance la fin. "Moi je ne sais pas du tout au départ où je vais", confie Dominique Lancelot, "parce que ce type d'écriture est celui qui convient à Section de recherches. Le premier épisode racontait l'histoire d'une mariée, qu'on retrouvait morte le jour de son mariage, tuée par un coup de feu. On a décidé à partir de là, que le pistolet qui l'a tuée, c'est elle qui le portait sur elle. Il faut alors réfléchir aux raisons qui ont pu la pousser à prendre cette arme. Est-ce qu'elle voulait elle-même tuer quelqu'un ? Est-ce qu'elle voulait se protéger? Etc."
Le travail se fait toujours en équipe ? Une fois le plan bien en place, il faut passer au travail d'écriture, qui se fait toujours en équipe. Pour chaque épisode de Section de recherches, ils sont trois ou quatre scénaristes à se mettre autour d'une table pour élaborer l'histoire. L'un d'entre eux, à partir de ce qui a été élaboré, écrit ensuite le "séquencier." Une fois validé par la directrice d'écriture et le directeur d'atelier (le scénariste en chef), on passe à la première version de dialogues. "Un épisode de 52 minutes, on met entre deux mois et demi et trois mois pour le réaliser", confie la scénariste, mais parfois, on en écrit plusieurs à la fois", précise-t-elle.
"Avec Plus Belle la Vie, on entre dans de l'industrie lourde", sourit Héctor Cabello Reyes, qui évoque "un flux continu pendant douze mois et 26 minutes par jour, avec seulement deux mois d'avance sur la diffusion." Après avoir écrit un squelette des événements-phares, les auteurs entrent dans le détail et décomposent le scénario en "arches narratives", un peu comme des chapitres de roman. "Ensuite, on répartit le travail entre huit auteurs, qui travaillent en binômes. Les équipes détaillent alors scène par scène", explique Hector Cabello Reyes. "L'écriture à ce stade, est encore cinématographique, à la fois neutre et très descriptive. On note les réactions des personnages, leurs gestes et leurs intentions, tous les éléments qui vont être utiles aux dialoguistes", détaille le scénariste. Une fois harmonisé, le texte est enfin envoyé à l'atelier des dialoguistes, avant d'atterrir entre les mains de l'équipe de tournage.
The End ? Le tournage, ça veut dire que le scénariste est enfin tranquille ? "Normalement, il y a peu de retouches à ce stade, sauf si l'équipe de tournage rencontre un problème", explique le professionnel. "Mais un auteur, qui assiste au tournage, est chargé d'intervenir si, au dernier moment, il constate une imperfection", raconte Héctor Cabello Reyes, ou pire : "si une vanne ne marche pas."