Juin 1999. Shawn Fanning, pas encore 19 ans, lance un logiciel qui, il ne le sait pas encore, va révolutionner la consommation de musique d’abord, des autres produits culturels ensuite. Napster permet en effet de partager facilement, gratuitement et rapidement des fichiers musicaux via le format MP3 entre ordinateurs connectés à Internet. C’est le fameux peer-to-peer (P2P). Le succès est fulgurant au niveau mondial. Surtout, la brèche est ouverte, et la guerre avec les ayants-droits est déclarée. Elle est aujourd’hui encore loin d’être terminée, en témoigne la fermeture jeudi soir aux Etats-Unis du mastodonte Megaupload. Retour sur 12 ans d’une lutte anti-piratage sans merci… et loin d’être gagnée.
Napster fait des petits
A tout seigneur tout honneur. C’est Napster qui, le premier, a été attaqué devant la justice. La plainte est venue du la Recording Industry Association of America (RIAA), association qui défend les intérêts de l’industrie du disque aux Etats-Unis. Après deux ans de bataille judiciaire, le logiciel, pourtant utilisé par des millions d’internautes à travers le monde, est finalement retiré en juillet 2001. Pour autant, Napster continue d’exister en tant que plateforme de téléchargement légal jusqu’en décembre 2011, quand la fusion avec le site de streaming légal Rhapsody signe la fin de la marque.
Mais entretemps, Napster a fait des petits. Des clones ont fleuri, alors que le partage de fichiers s’est étendu aux films, aux logiciels et aux jeux vidéo. S’observe alors un curieux phénomène. Un logiciel sort du lot, puis est peu à peu délaissé à mesure qu’il est attaqué devant la justice. A Napster succède ainsi Kazaa en 2001, auquel se substitut eMule en 2003. D’autres logiciels voient le jour, tels que LimeWire, Morpheus ou Gnutella.
Et la justice a bien du mal à attaquer ces sites, car leurs créateurs arguent n’être que fournisseurs d’un service. Et renvoient la responsabilité du piratage sur la foule innombrable et anonyme des internautes du monde entier. Kazaa est tout de même contraint de fermer ses portes en 2005, et peu à peu, la pratique du peer-to-peer illégal sous cette forme est abandonnée.
The Pirate Bay condamné
Cet abandon s’explique tant par la crainte des poursuites que par l’apparition de nouveaux logiciels de téléchargement plus rapides et plus sûrs. C’est l’arrivée du protocole BitTorrent qui change la donne. Le fichier à télécharger est désormais morcelé en segments que le logiciel va chercher chez tous les possesseurs du fichier connectés. Là encore, les internautes ne tardent pas à adopter cette nouvelle pratique par millions. Et là encore, la justice, qui s'est concentrée sur le P2P, se retrouve désemparée sur la réponse à apporter.
La réplique judicaire viendra de Suède. C’est dans ce pays qu’est hébergé The Pirate Bay, leader mondial des serveurs torrent, qui revendique en 2006 plus d’un million de visites par jour. Les ennuis judiciaires débutent en 2006, à l’instigation du ministère de la Justice suédois, sous la pression de l'industrie cinématographique américaine. Le site Internet devient alors le symbole de la résistance contre les grandes majors de la musique et du film, qui poussent à sa condamnation. Finalement, le 26 novembre 2010, la cour d'appel suédoise condamne les trois fondateurs à des peines de prison ferme de 4 à 10 mois et à des dommages et intérêts à hauteur de 5 millions d’euros.
Aujourd’hui, The Pirate Bay existe encore, mais se contente de renvoyer vers d’autres serveurs ou vers des fichiers libres de droit. Cependant, le format torrent continue à prospérer, d’une part en raison des failles juridiques qui continuent d’exister, et d’autre part à cause de l’hébergement des sites incriminés, souvent situés dans des pays où la législation en la matière est plus souple.
Avec Hadopi, la France innove
Alors certains pays ont décidé de s’en prendre directement non plus aux sites, mais aux internautes pour lutter contre le téléchargement illégal. C’est le cas de l’Allemagne, de la Corée du Sud, de Taïwan ou encore… de la France. En créant Hadopi en 2009, l’Hexagone a, une fois n’est pas coutume, innové en instituant la riposte graduée, qui peut aboutir à la suspension de l’abonnement Internet du contrevenant. En juin 2011, un premier bilan faisait état de 500.000 mails envoyés à des internautes indélicats. Quant à la réelle influence sur le téléchargement illégal, il faudra sans doute patienter encore pour la mesurer.
Sur le partage de fichiers, les réponses judicaires se sont donc récemment multipliées. Mais tout un pan de la consommation illégale de produits culturels protégés par le copyright reste encore dans un flou juridique total. La prochaine étape, pour les ayants-droits, sera de s’attaquer au streaming illégal, cette pratique qui permet, via un flux audio ou vidéo, d’écouter un morceau ou de regarder un film sans enregistrer le fichier sur son ordinateur. Nicolas Sarkozy a promis de s’attaquer au problème en 2012, si d’aventure il était réélu.
Mais la décision de la fermeture surprise de Megaupload et de sa filiale de streaming Megavideo, pourrait faire réfléchir les acteurs du secteur. Allostreaming, l’un des rares sites français spécialisé dans le streaming, déjà visé par une procédure judiciaire, a annoncé sa fermeture définitive vendredi à la mi-journée.
Avec la fermeture de Megaupload, les ayant-droits semblent donc avoir gagné une bataille d’importance. Mais la "World Wide War", comme la nomme le collectif de hackers Anonymous, est elle loin d’être terminée.