Elles s’appellent Edith Wharton, Blanche Maupas ou Louise Bodin. Ces trois femmes ont, comme des millions d’autres, vécu la Première Guerre mondiale, ses drames, ses horreurs, son urgence. Respectivement romancière, institutrice et journaliste, elles ont inscrit leur nom dans le vaste récit de la Grande Guerre. C’est au travers de leurs parcours — et de ceux d’une dizaine d’autres personnalités, contés par Nathalie Baye — que Fabien Béziat et Hugues Nancy mettent en lumière les aspects méconnus de ce conflit aux 18 millions de morts : quand la société a appelé les femmes à remplacer les hommes.
Un sujet rare. À l’origine, le documentaire qui sera diffusé lundi soir sur France 3, devait traiter du refus de guerre, de ces soldats ou ces mouvements qui ont refusé le combat. “Nous nous sommes rendu compte que la question des femmes n’avait jamais été traitée en documentaire” explique Hugues Nancy. Autre surprise : les archives de l’ECPAD (Ministère de la Défense) recèlent d’images inédites des femmes dans le conflit 14-18.
“La place des femmes dans la Première Guerre mondiale est un point noir, traité tardivement. On y a vu un sujet merveilleux” poursuit Hugues Nancy au sujet de ce film que proposera France 3 à 20h40 et qui a nécessité un an et demi de travail entre sa conception, sa réalisation et la colorisation des images.
L’ingrate société française. “Trop longtemps on a ignoré de l’Histoire ces femmes qui se sont battues pour survivre et sans qui le pays tout entier n’aurait pas surmonté l’épreuve”. Ainsi démarre le film produit par Program33. Les images rappellent que les femmes ont d’abord pris le relais des hommes sur le terrain agricole, dans les champs, avec des charrues bien trop lourdes pour elles.
Elles ont ouvert la voie aux “anges blancs” de la Croix Rouge, avec une Marie Curie qui impose la radiographie, ou aux “munitionnettes”, ces femmes qui ont assuré la production à plein régime des usines d’armement. Maigre gratitude de la France : l’armistice signé, l’Etat appelle ces mêmes munitionnettes à quitter leurs fonctions sous 15 jours au profit des hommes revenus du front. En 1918, la société revient à la ligne de partage entre les sexes. “La guerre n’a pas accéléré l’entrée des femmes sur le marché du travail” avance le documentaire, avec un chiffre : dans les années 1960, il y avait toujours moins de femmes au travail… qu’en 1913.
Autre zone d’ombre remise en lumière dans le film de France 3 : les fusillés pour l’exemple, ces hommes tués par leurs frères d’armes pour rétablir l’ordre dans une troupe. Après la guerre, Blanche Maupas consacrera sa vie à faire réhabiliter son époux caporal, fusillé à Souain.
Le droit de vote attendra. "Nous allons à l’encontre des idées reçues sur la Première Guerre mondiale : non, elle n’a pas accéléré l’émancipation des femmes ! Au contraire, elle l’a freinée !" explique Hugues Nancy au sujet du droit de vote, point de départ et conclusion du documentaire. Si, en 1913, le vote des femmes semble à portée de main, cet élan est stoppé par la mort de François-Ferdinand d’Autriche.
“Les Françaises vont devoir attendre 30 ans avant de pouvoir voter”, rappelle Hugues Nancy. Motif : la frilosité de la classe politique. "La droite estimait que la place des femmes était au foyer et la gauche pensait que les femmes, sous influence de l’Eglise, pouvaient mettre en péril la République."