"Mélodie d’amour chantait le cœur d’Emmanuelle", fredonnait Pierre Bachelet en 1974. Une chanson qui illustre le film du même prénom, classique du cinéma érotique, premier du genre à s'afficher dans les salles grand public. Un long-métrage inspiré d'un roman et qui a bien failli ne jamais voir le jour, entre difficultés de tournage et censure zélée. Emmanuelle, film aux 8 millions d'entrées en France, resté à l’affiche pendant 12 ans à Paris, dont les coulisses seront révélées dimanche soir dans un numéro inédit d'Un jour un destin sur France 2.
Emmanuelle, d'abord un roman. L’homme qui a porté le film Emmanuelle s’appelle Yves Rousset-Rouard. Futur producteur des Bronzés, il souhaite en 1973 battre le succès du Dernier tango à Paris. Il opte pour l’adaptation d’un livre, avec deux options devant lui : Histoire d’O ou Emmanuelle, un roman de 1959, le récit d’une femme mariée un brin libertine. Un livre interdit à l’affichage dans les librairies, vendu presque sous le manteau et dont il a fallu édulcorer les passages les plus crus pour le grand écran.
Un tournage compliqué. Réalisé en Thaïlande avec un budget équivalent à celui d’une publicité, le film est tourné à l’aveugle. Les équipes ne voient même pas le résultat de leur travail et envoient directement les pellicules en France. Les premiers visionnages à Paris sont catastrophiques. Un télégramme parvient en Thaïlande à Just Jaeckin, le réalisateur : "C’est nul, on voit rien, tu te dégonfles".
Le tournage est ensuite perturbé par la police thaïlandaise : la scène où Emmanuelle batifole nue avec une amie dans une cascade est enregistrée… à deux pas d’un temple bouddhiste !
Les difficultés de Sylvia Kristel. Sylvia Kristel, la comédienne néerlandaise de 22 ans qui interprète d’Emmanuelle, est confrontée sur le tournage à de sombres démons enfouis. À l’heure du tournage d’une scène de viol, l’horreur lui revient en tête : à 9 ans, elle a subi les attouchements de son oncle et d’un autre homme. Le tournage, avec un comédien un peu brutal, la renvoie à ce cauchemar. "C’était très violent, je m’en suis voulu", se souvient Just Jaeckin.
Après la sortie du film, Sylvia Kristel vivra mal le succès du film. Escroquée, ruinée, minée par l’alcool et la drogue, elle meurt en 2012 à l'âge de 60 ans.
L’année 1974, contexte idéal pour Emmanuelle. Deux événements des années 1970 vont ouvrir la voie à Emmanuelle. D’abord le succès du film Les valseuses, 5,7 millions d’entrées cette année-là. La bande-annonce d’Emmanuelle ("Emmanuelle, la plus longue caresse du cinéma français") précédait chaque projection du film du trio Depardieu-Dewaere-Miou Miou et a attisé la curiosité des spectateurs.
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir deux mois avant la sortie du film lui a permis de passer le cap de la censure. D’abord interdit en raison de ses passages trop crus, le film est finalement autorisé après avoir été amputé… d’une minute. Entre temps, le producteur d'Emmanuelle est entré en contact avec un des ministres de VGE, l'invitant à assumer le "caractère libéral du nouveau gouvernement".
Le diffuseur attendait 500.000 entrées. Avec 18 salles à Paris, Emmanuelle bénéficie de la même mise en avant que le Dernier tango à Paris. Là où le diffuseur attendait au mieux un demi-million d’entrées, le film devient le carton de l’été 1974, avec des files d’attente devant les cinémas et malgré des critiques désastreuses. L’onde de choc est mondiale avec 50 millions d'entrées sur la planète, des Champs-Elysées où le film reste à l'affiche pendant 12 ans, jusqu’au Japon en passant par le Brésil ou la Suède.
Le film connaîtra 26 déclinaisons au cinéma et à la télévision : Emmanuelle à Venise, Emmanuelle 2000, Emmanuelle dans l’espace, Black Emmanuelle…