Le conflit. Le torchon brûle entre les journalistes et les actionnaires de Libération. Jeudi, les salariés s'étaient mis en grève pour demander à nouveau le départ des dirigeants, et notamment du directeur de la publication, Nicolas Demorand. Le conflit est monté d'un cran ce week-end, après que les actionnaires ont dévoilé un projet visant à faire de Libération "un réseau social" et à transformer son siège en "espace culturel".
Faire de Libé "un réseau social". Dans une tribune publiée dans l'édition de samedi, les actionnaires de Libération, représentés par l'homme d'affaires Bruno Ledoux (qui détient 26% du journal), ont détaillé leur plan pour relancer le titre, dont la diffusion a chuté de quasiment 15% en 2013. Ce projet "inscrirait Libération, non plus comme un seul éditeur de presse papier, mais comme un réseau social, créateur de contenus, monétisable sur une large palette de supports multimédias", écrivent-ils.
Par ailleurs, si le déménagement de la rédaction est "devenu inéluctable" selon les actionnaires, ceux-ci souhaitent néanmoins conserver le siège du journal, situé dans un immeuble du troisième arrondissement de Paris, afin de développer diverses activités. Il est ainsi question d'"un espace culturel et de conférence comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up, bref un lieu d’échange ouvert et accessible à tous". "L’esprit serait celui d’un "Flore du XXIe siècle"", référence au célèbre café de Saint Germain des Prés, qui "serait porté par la puissance de la marque Libération".
La presse ne fait pas que des journaux. Diversifier les activités, la tendance n'est pas nouvelle dans l'univers de la presse française. Au-delà de la fête de l'Humanité, qui existe depuis 1930, les journaux ont récemment développé des activités distinctes de leur cœur de métier. Le Figaro propose ainsi des croisières à ses lecteurs, Les Echos organise des conférences à destination des acteurs économiques, Le Monde a lancé une boutique en ligne, etc.
"A l'évidence, tous les journaux se doivent aujourd'hui d'aller chercher des relais de croissance en dehors de la production de contenus", explique Jean-Clément Texier, consultant spécialiste de la presse, contacté par Europe1.fr. Une manière de capitaliser sur leurs marques afin de compenser la crise qui touche la presse. Tous les quotidiens nationaux ont vu leur diffusion baisser en 2013, mis à part La Croix et Les Echos, en très légère hausse.
Mais la recette pourrait-elle marcher dans le cas de Libé ? "Pour moi, la déclaration des actionnaires va dans le bon sens, mais ce n'est pas gagné d'avance", analyse Jean-Clément Texier. "D'abord parce que le créneau de l'évènementiel commence à être sérieusement occupé, beaucoup de concurrents s'étant déjà lancés. Mais aussi parce qu'il faut une vraie puissance de marque et des investissements considérables". Or, les actionnaires actuels ne veulent pas remettre la main au portefeuille, et Libé cherche donc activement de nouveaux capitaux.
"Nous sommes un journal". De leur côté, les salariés sont très remontés. "Nous sommes un journal", ont-ils affirmé en Une du numéro de samedi, "pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel…" La rédaction a consacré deux pages du numéro de lundi au conflit qui secoue le titre. S'ils estiment que "la diversification n'est pas un gros mot", les salariés rejettent le projet des actionnaires, qualifié de "Libéland sans journalistes". Dans un éditorial, Fabrice Rousselot, directeur de la rédaction, reste sur sa faim : "Sans un journal fort, à quoi bon un restaurant ?"
>> Un tweet moquant le projet des actionnaires :
«Allô, Libé Resto ? Est-ce qu’il vous reste une table pour quatre vers 21 heures ?» pic.twitter.com/AhAuSC0HM5— NousSommesUnJournal (@nousjournal) February 10, 2014
L'EXPLICATION - Pourquoi Libération est en grève
CONTESTATION - La direction de Libération sur la sellette