Jeudi 10 octobre. Gilbert Ysern, directeur général de la Fédération française de tennis (FFT), fait grise mine devant les journalistes. Il vient d'annoncer en conférence de presse qu'aucune offre valable n'avait été formulée pour acquérir les droits télévisés de Roland-Garros sur la période 2014-2018. Seules France Télévisions et Eurosport ont fait des propositions, mais à des prix inférieurs à ceux fixés par la FFT. Et ni TF1, ni M6, qui avaient un temps fait part de leur intérêt, n'ont candidaté.
Echecs des appels d'offres. L'épisode n'est pas anecdotique. Depuis deux ans environ, les chaînes gratuites boudent les grandes compétitions sportives. TF1 a ainsi laissé filer chez Canal+ les meilleurs matchs de la Ligue des champions et le championnat du monde de Formule 1. Et la Une est la seule chaîne à avoir répondu à l'appel d'offres lancé par l'UEFA pour acquérir les matchs de l'équipe de France de football sur la période 2014-2018. Un appel d'offres finalement déclaré infructueux, tout comme celui de Roland-Garros, les sommes proposées étant trop faibles aux yeux des organisateurs. Conséquence de ce désintérêt : le sport se fait de plus en plus rare sur la télévision en clair. Au premier trimestre 2013, les chaînes gratuites ont diffusé 50 heures de sport en moins sur un an, et moitié moins de foot, selon une étude de NPA Conseil relayée en avril par lefigaro.fr.
Resserrement des budgets contre hausse des tarifs. Ce désengagement est lié à la crise. Les revenus publicitaires, recette phare des chaînes gratuites, ont diminué, tandis que l'Etat a baissé sa dotation au service public. Face à cette dégradation de leur situation financière, les diffuseurs ont resserré leurs budgets consacrés à l'achat de droits sportifs. D'autant que la diffusion d'une grande compétition coûte en général plus cher qu'elle ne rapporte. "Les chaînes achetaient ces droits pour des questions d'image", explique à Europe1.fr Jean-Luc Gripond, président de l'agence de marketing sportif SportVision. "Le foot sur TF1 n'a jamais été rentable, mais pour la chaîne, il n'était pas question que ça soit ailleurs que chez eux. Aujourd'hui, ils estiment que de moins en moins de compétitions méritent un tel sacrifice".
Dès lors, la concurrence a perdu de l'ampleur dans le domaine du sport en clair, ce qui a accentué encore le désintérêt des chaînes. "Il y a deux grands acteurs du sport sur la télévision gratuite : TF1 et France Télévisions", poursuit Jean-Luc Gripond. "Or, si l'un d'entre eux achète moins de droits, l'autre se désengagera aussi puisqu'il n'aura plus besoin de faire une vraie différence sur ce créneau".
Exigence du public. Ce choix des chaînes traduirait-il aussi une certaine désaffection du public ? "Je pense au contraire qu'on regarde le sport plus que jamais, mais les téléspectateurs sont plus sélectifs", répond Jean-Luc Gripond. "Les grandes compétitions comme la Coupe du monde ou les phases finales de Roland-Garros conserveront leur forte audience. Mais pour les autres, le téléspectateur est plus exigeant : il ne veut plus se laisser imposer un sport et un horaire précis par une chaîne". De quoi encourager les diffuseurs à ne conserver que les plus grands évènements.
Duel entre les chaînes payantes. En conséquence, le sport a trouvé refuge sur les chaînes à péage. D'autant que l'arrivée en France, il y a deux ans, de la chaîne qatarie beIN Sport, a créé une concurrence sur un créneau auparavant trusté par Canal+. De quoi faire saliver les fédérations sportives, qui font monter les enchères entre les deux rivaux. En février, Canal+ aurait ainsi déboursé près de 70 millions d'euros par an pour conserver les droits du championnat anglais de football, soit quasiment le triple de ce qu'elle dépensait auparavant. Pour autant, cette nouvelle concurrence sur le payant ne profite pas forcément aux montants des droits. "Nous avons participé aux enchères de la Ligue 1 en 2011 et le prix a baissé de 14%", rappelle le patron de beIN Sport, Yousef al-Obaidly, dans Le Figaro jeudi.
Perte d'exposition. Le revers de la médaille, c'est que la diffusion sur une chaîne payante offre moins d'audience à un sport, réduisant sa visibilité. Et, par ricochet, les sommes versées par les sponsors. "Parfois, mieux vaut être moins exigeant sur le prix des droits si cela permet d'aller sur TF1 ou sur France 2", suggère Jean-Luc Gripond. Une question que de plus en plus de détenteurs de droits sportifs devront se poser, vu le contexte budgétaire des chaînes gratuites. Prochaine sur la liste : la Ligue nationale de rugby (LNR), qui décidera le 3 décembre si elle souhaite dénoncer son contrat avec Canal+ et relancer un appel d'offres pour les matchs du Top 14.