Le dessinateur de Charlie Hebdo, Georges Wolinski, a été tué mercredi dans l'attentat terroriste qui a fait 12 morts. Nous l'avions rencontré il y a un an.
L'info. Georges Wolinski n'est plus. Le célèbre dessinateur de Charlie Hebdo est mort dans l'attentat terroriste de mercredi, avec notamment trois de ses confères, Charb, Cabu et Tignous. Nous l'avions rencontré il y a un an lors d'une visite à Sciences Po.
Voilà le portrait que nous avions rédigé à l'époque de ce provocateur nostalgique. Il nous avait d'ailleurs confié : "quand je mourrai, je veux être incinéré et que mes cendres soient dispersées dans les toilettes de notre appartement. Comme ça, je pourrai voir le cul de ma femme de tous les jours ! "
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La provocation, toujours. La démarche est un peu hésitante, les joues se sont creusées, l’oreille se fait dure. Son corps âgé flotte dans son veston et son pantalon trop court dévoile ses chaussettes. Malgré cela, une certaine élégance se dégage du personnage. Et puis, il faut voir avec quel plaisir gourmand il raconte son dépucelage à 17 ans par “une tuberculeuse dans le sanatorium d’à côté.” “Je suis arrivé à la pénétrer. Mais elle m’a dit: “bah tu ne bouges pas? Je ne savais pas qu’il fallait bouger”. A bientôt 80 ans, Georges Wolinski, le célèbre dessinateur de presse de Charlie Hebdo, L’Huma ou du JDD, aime toujours autant la provocation. Mais le temps passe et la provocation se teinte d’un voile de nostalgie.
Une enfance tunisienne. C’est les yeux loin dans le passé qu’il se met à raconter son enfance en Tunisie. Georges Wolinski est né à Tunis d’un père polonais et d’une mère italienne, naturalisés français par le mariage. A deux ans, un premier drame le marque: son père, qui avait créé une usine de fer forgé, est assassiné par l’un de ses ouvriers, qu’il venait de congédier. “Ça a marqué ma vie quand même” explique-t-il. C’est son “Oncle Victor” qui jouera les pères de substitution. Le dessin qu’il pratique depuis l’âge de 5 ans agit comme “un refuge”. Son grand-père est commerçant, une aubaine pour le petit garçon: “je dessinais sur les papiers qui enveloppaient les gateaux”. Soudain, au détour d’une anecdote, la provocation refait son apparition, le tire de sa mélancolie, lui arrache un sourire: “je lisais sur le divan au rez-de-chaussée de la maison. Je vois par la fenêtre un soldat américain complètement pété qui s’effondre sur le sol. Un bout de son sexe est visible. Une femme arabe voilée arrive, le dépasse, revient sur son chemin, appuie sur son sexe et referme sa braguette”.
Dans le premier numéro de Hara Kiri. Le sexe, la femme, le couple, des sujets de prédilection pour Georges Wolinski. Pourtant, le dessin est d’abord occasionnel: il travaille dans la bonneterie de ses beaux-parents à Fontenay-sous-bois, chose pour laquelle il était “nul”. Mais la vie le marque à nouveau lorsque sa première femme décède dans un accident de voiture le laissant seul avec deux petites filles. Entre-temps, il fait la guerre d’Algérie et envoie un dessin à François Cavana. Il sera publié dans le premier numéro de Hara Kiri, l’ancêtre de Charlie Hebdo. Il rejoint l’équipe du journal satirique en 1961. Pas mal sont décédés aujourd’hui, “moi j’attends un peu” glisse-t-il mi-farceur mi-mélancolique. Il y rencontre le dessinateur Cabu, qui deviendra son ami. Il ne le voit plus tellement aujourd’hui parce que “tu vois, Cabu, il déjeune toujours avec des connards, et ça m’ennuie”. D’ailleurs, il avoue “tu sais, je ne vois plus grand monde aujourd’hui”.
A gauche toute. Sa grande époque, son grand soir, on le sent c’est 68: “je dois beaucoup à mai 68”. Georges Wolinski n’aimerait pas “que l’on oublie cette formidable époque”. Il se découvre dessinateur politique, devient un “enragé” bien ancré à gauche. C’est bien simple, depuis il ne fréquente que des gens de gauche: “les gens de droite m’énervent”. C’est aussi à cette période, alors qu’il est embauché au JDD, qu’il fait la rencontre de sa seconde femme, Maryse, journaliste à l’hebdomadaire. Les yeux plein de malice, il retombe dans la provoc’: “ma femme, j’aime beaucoup la regarder tortiller dans l’appartement”. Et puis, parfois la frontière se brouille entre le sérieux et la provocation. Lorsqu’on lui demande si le milieu des dessinateurs de presse n’est pas un peu macho, il répond le plus naturellement du monde: “pas du tout, ils sont très gentils. Et les femmes sont très jolies. Il y en a une qui est marocaine, qui est vraiment très bien”.
Le dessin, c'est sa vie. Mais, quelques instants plus tard, le ton est beaucoup plus solennel voire émouvant, lorsqu’il confesse: “le dessin m’a sauvé la vie parce que je faisais ce qui me plaisait. Ce qui me plaisait est devenu un métier et ça c’est précieux”. On ne peut pas s’empêcher de lui demander s’il songe à la retraite, s’il envisage de ranger crayons et pinceaux, feutres et papiers. On s’attend à une réponse convenue. Que le dessin c’est sa vie et qu’il mourra le crayon à la main. Comme Molière sur scène. Mais non, dans une ultime pirouette, le maître de la provoc’ répond : “je ne peux pas m’arrêter. Mon train de vie m’oblige à gagner pas mal de fric”. Son chapeau dans les mains, il glisse avant de partir: “maintenant, je vais faire une petite sieste”.
>> Ecoutez Georges Wolinski, sur Europe 1 le 22 avril 2008, au micro de Frédéric Taddei :