"Des insultes aux actes violents, il n’y a qu’un pas", a un jour déclaré Ana Navarro-Cardenas, consultante républicaine modérée et anti-Trump. Citée par François Jost dans son nouveau livre, Médias : sortir de la haine ? (CNRS Éditions) celle-ci s'était élevée contre les insultes continuelles de Donald Trump envers les médias, craignant que le président américain ne finisse "par faire tuer quelqu’un dans les médias". Invité vendredi dans l'émission Culture Médias d’Europe 1, François Jost, auteur de "Médias : sortir de la haine ?", abonde.
"Si j’écris ce livre, c’est parce que je suis persuadé que ce risque existe", affirme le sémiologue et professeur émérite à l'Université Sorbonne Nouvelle, qui évoque la crise des "gilets jaunes" durant laquelle plusieurs journalistes ont été agressés. Sans oublier l’agence de France Bleu Isère, incendiée, sur fond de critiques répétées à l’encontre de ces "merdia" (contraction de 'merde' et 'média'), "à la solde du pouvoir".
La crise des "gilets jaunes" a été "un déclencheur"
Dans l’histoire, et en tous lieux, les médias ont à plusieurs reprises perdu la confiance de leur public, raconte en préambule François Jost, énumérant l’affaire du charnier de Timisaora, en Roumanie (1989), la guerre du Golfe (1990), ou encore l’attentat de l’Hyper Cacher (2015), lorsque des journalistes ont révélé à l’antenne que des personnes étaient cachées dans la chambre froide du supermarché.
En 2018, le début de la crise des "gilets jaunes" a été "un déclencheur", explique François Jost. "J’ai écrit ce livre pour ça, en me demandant pourquoi cette haine. Et en essayant de voir la philosophie implicite des 'gilets jaunes' vis-à-vis des médias", poursuit-il. Autrement dit, "ce que les 'gilets jaunes' pensent qu’un bon média serait".
"On demandait aux médias une très grande subjectivité"
À cette question, la première réponse que donne François Jost est : "un média qui dit la vérité", en plans séquences, sans montage, comme l’a notamment fait Rémy Buisine ou encore Russi Today, le média financé par l’État russe. Cependant, "c’est un peu naïf", estime le sémiologue. "Même un match de football est monté en direct, sinon en s’emmerderait". Par ailleurs, au-delà du fait que cela soit impossible techniquement, le média idéal des "gilets jaunes" contribuerait à "annuler le contradictoire" en n’allant pas du côté des forces de l’ordre.
Pour résumer, "ce que l’on demandait aux médias, c’était une très grande subjectivité". Or, rappelle François Jost, "le contradictoire est la raison d’être de la démocratie. Il faut accepter qu’il y ait des gens avec qui on n’est pas d’accord dans les médias, et que ce n’est pas pour autant qu’il faut détester ces médias".
Outre l’argument de l’objectivité, il a également été maintes fois reproché aux journalistes de ne pas montrer "les vrais gens". Une critique correcte et fondée, juge le sémiologue. "Il y a toute une catégorie de gens qui n’apparaissait plus à la télévision", analyse-t-il, s’appuyant sur des rapports du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). "Dans le JT, il y a 78% de cadres supérieurs, alors qu’ils sont 25% en France", précise-t-il, ajoutant que cela a contribué à enlever beaucoup de dignité à ceux qui ne faisaient pas partie de cette catégorie socioprofessionnelle. "Un des points positifs de la crise du Covid, c’est que des gens comme les infirmières, les éboueurs, les brancardiers, tout à coup sont réapparus".
Aujourd’hui, sortie de mon dernier livre: Medias: sortir de la haine? (@CNRSEd) pic.twitter.com/L085LVpC2Z
— François Jost (@francoisjost) September 3, 2020
Des médias "inféodés au pouvoir"
Pour le professeur, il existe une autre raison à cette détestation des médias : "L’impression que les journalistes forment une caste, un microcosme coupé du monde". De cette impression découle une nécessité absolue selon le chercheur : "Il faut que les médias l’acceptent, il faut admettre que l’on puisse participer et être à l’écoute de ce que veulent les gens".
Lors de la crise des "gilets jaunes", qui qualifiaient les chaînes d’information en continu de "TV Macron", l’idée que les médias étaient "inféodés au pouvoir" a par ailleurs été ravivée, de même que celle selon laquelle les médias étaient tenus par des grandes puissances d’argent. Sur ce dernier point, "c’est vrai, rappelle François Jost, mais ce n’est pas nouveau non plus".
Alors que les critiques à l’égard des médias se font de plus en plus présentes et violentes, l’auteur de Médias : sortir de la haine ? (CNRS Éditions) se rappelle d’un temps où "l’opposition n’apparaissait jamais à la télévision", et où le gouvernement comptait parmi ses membres un ministre de l’Information. "Des chercheurs ont démontré que pendant de Gaulle, des fictions étaient écrites dans les ministères pour dire les choses que l’on voulait faire passer", ajoute-t-il. "Donc c’est mieux aujourd’hui".