L'hebdomadaire allemand Der Spiegel, ébranlé par l'affaire de son journaliste vedette qui a falsifié ses articles, a fait part de sa "honte" vendredi en consacrant un long dossier à ce scandale dans un contexte de défiance généralisée envers les médias.
"Il nous est arrivé le pire de ce qui peut arriver à une rédaction: pendant des années, nous avons eu dans nos pages des reportages et d'autres textes qui ne rendaient pas compte de la réalité mais qui ont été inventés en partie", écrivent le rédacteur en chef, Dirk Kurbjuweit, et rédactrice en chef adjointe, Susanne Beyer, dans le numéro à paraître samedi. "Cela nous fait honte", ajoutent-ils. "Nous sommes vraiment désolés que cela se soit passé", écrivent-ils aussi alors qu'en Une s'affiche "Dire ce qui est", en référence aux mots prononcés par le fondateur du magazine, Rudolf Augstein.
Fall Claas Relotius: Wie der SPIEGEL auf die Kritik des US-Botschafters reagiert https://t.co/ZCdIfBSjvUpic.twitter.com/uqD6Q38ySP
— DER SPIEGEL (@DerSPIEGEL) 21 décembre 2018
L'ambassadeur américain réclame une "enquête indépendante et transparente" sur cette affaire. Le magazine, un des titres phares de la presse, a révélé mercredi que son journaliste Claas Relotius, récompensé à plusieurs reprises, avait inventé en partie ou intégralement des articles qu'il a écrits pour le titre, en particulier des reportages remarqués aux États-Unis ou avec des enfants syriens. L'ambassadeur des États-Unis en Allemagne, Richard Grenell, a d'ailleurs fait part de sa "grande préoccupation" car certains des articles inventés par le journaliste concernaient "la politique américaine et certaines franges de la population américaine". Richard Grenell, nommé à Berlin par le président américain, Donald Trump, assure également avoir adressé une lettre à la rédaction au chef du magazine et réclamé une "enquête indépendante et transparente" sur cette affaire.
D'autres médias où le journaliste est passé expriment aussi leurs doutes. En 2017, Claas Retolius avait notamment brossé le portrait d'une petite ville américaine qui avait massivement voté pour Donald Trump. Il décrivait notamment un panneau à l'entrée de la cité clamant que les Mexicains n'étaient pas les bienvenus. Ce panneau n'a jamais existé. C'est finalement avec un autre reportage, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, que le journaliste de 33 ans a été démasqué. Un de ses collègues, qui commençait à avoir de sérieux doutes, est retourné sur les lieux rencontrer les prétendus interlocuteurs du journaliste qui ont affirmé n'avoir jamais rencontré de reporter allemand. D'autres publications, comme Die Zeit ou Tagesspiegel, ont depuis aussi annoncé avoir des doutes sur plusieurs de ses écrits quand il était encore pigiste.
L'extrême-droite allemande a sauté sur l'occasion. Cette annonce a suscité une vive émotion en Allemagne et soulevé de nombreuses interrogations, notamment comment ce jeune journaliste, qui a quitté Der Spiegel lundi, est parvenu à tricher durant des années sans être inquiété. "Les perdants, ce sont tous les journalistes qui mènent leurs recherches dans des circonstances difficiles ou dangereuses", a jugé le Süddeutsche Zeitung vendredi.
L'extrême droite AfD, qui ne cesse de montrer du doigt ce qu'elle considère comme "la presse menteuse", s'est saisie de l'affaire: un de ses députés, Görtz Frömming, a insisté sur le fait que le journal a "livré pendant des années les meilleures 'Fake news'". Der Spiegel s'est engagé à tirer les conséquences de cette affaire via la mise sur pied d'une commission.
Ce cas du Spiegel intervient dans un contexte mondial marqué par une influence toujours croissante des "infox" portées par les réseaux sociaux.
Der Spiegel, le média qui se veut être un miroir de la vérité
Fondé en 1947, Der Spiegel, qui se veut un "miroir" de la vérité (Spiegel en allemand) a été à l'origine de révélations politiques et économiques. Fou de colère après un article, l'ancien chancelier social-démocrate, Willy Brandt, l'avait qualifié de "feuille de merde".