C’est un tout nouveau métier qui se développe dans le monde de l’édition : les "sensitivity readers" ou relecteurs en sensibilité. Leur mission ? Lire les textes et repérer ce qui peut blesser les minorités en raison de leur genre, de leurs couleurs de peau ou de leur orientation sexuelle. Ces nouveaux relecteurs s’ajoutent aux "gender editors" déjà présents dans certains médias comme au New York Times aux États-Unis ou encore à Mediapart en France. "Nous sommes là pour rassurer, éclairer et expliquer et non pour censurer, comme bien des médias le disent encore et toujours maintenant", explique une "sensitivity reader" dans l'émission Culture Medias sur Europe 1.
Depuis quelques temps, les maisons d’édition engagent une personne spécifiquement dédiée à la relecture des textes pour éviter les clichés dans les essais, romans ou encore bande dessinée. "On demande généralement de l'aide pour les sujets tels que la bisexualité, le harcèlement, le sexisme, la misogynie ou encore les stéréotypes de genre. Je lis généralement les premiers jets afin de repérer les maladresses d'écriture et d'éviter les clichés", reprend cette "sensitivity reader".
Un métier parfois critiqué
Mais ce nouveau métier est parfois critiqué par certains acteurs du monde de l’édition. Comme Emmanuel Pierrat, avocat et également relecteur. Pour lui, "la relecture juridique a toujours existé". "C'est une chose que je fais comme avocat dans l'édition française. C'est une chose que font les services juridiques dans les sociétés de production de téléfilms et de séries, qui consiste à ne pas être diffamatoire, ne pas être attentatoire à la vie privée, ne pas appeler à la haine raciale", poursuit-il. Selon Emmanuel Pierrat, le "sensitivity reader" lisse les écrits. "Ce n'est pas l'univers de droit. C'est une sorte de morale bien-pensante", clame-t-il au micro de Philippe Vandel sur Europe 1.
Emmanuel Pierrat prend l’exemple de l’opéra Carmen, mis en scène par Georges Bizet et écrit par Henri Meilhac et Ludovic Halévy au 19e siècle. L’opéra, passé à la relecture il y a deux ans en Italie, aurait alors changé de visage, avance l’avocat. "On a changé la fin parce que le metteur en scène a dit qu'on ne pouvait plus applaudir un féminicide. Mais à la fin de Carmen, moi j'applaudis la cantatrice, les décors et la performance globale. Mais, il a changé pour qu'à la fin Carmen tue son amant et qu'elle ne soit pas tuée", explique-t-il. Une vision "aseptisée" de l’histoire pour l’avocat.
"Pointer des maladresses, des approximations ou des clichés"
C'est également l’avis de Céline Charvet, la directrice éditoriale de Casterman Jeunesse. Elle a choisi de ne pas travailler avec un "sensitivity reader". Impossible pour elle de "déléguer [sa] conviction", elle préfère davantage "assumer [ses] choix d'éditeur en les portant avec l'auteur". Quitte à ne pas publier quand le texte pose problème. "Cela nous est déjà arrivé", assume-t-elle. "Une dystopie américaine posait de vraies questions sur l'islam, sujet que nous ne maîtrisons pas assez pour pouvoir assumer un propos qui aurait pu facilement devenir polémique. Nous avons décidé de ne pas publier", précise Céline Charvet.
Cependant, beaucoup d’auteurs s’appuient sur ces relecteurs spécialisés comme des outils pour améliorer leurs écrits et balayent les critiques d’un revers de la main. "Les 'sensitivity readers' sont là pour pointer les erreurs, les maladresses, les approximations ou des clichés que j'ai pu faire vis-à-vis de certains personnages qui sont issus de minorités auquel je n'appartiens pas", détaille Cordélia, une autrice de romans jeunesse qui fait directement appel à ces relecteurs. "Eux ont cette expérience que je n'ai pas, donc un regard différent", conclut-elle.